vendredi, mai 11, 2007

L'aura et l'habitat, ou idéal-types de deux oeuvres d'art

Dans une oeuvre d'art, il y a toujours un reste de parfaite étrangeté, de différence radicale, d'aura comme disait Benjamin.

Des enfants dans les sculptures de Sopheap Pich, comment réagissent les parents ? Sont-ils anxieux comme en un terrain de jeux, attentifs à la moindre pierre tranchante, au moindre tourniquet défectueux, à la moindre seringue dans le sable, en l'occurrence au fil de fer pouvant égratigner ? Ou les enfants eux-mêmes sont-ils si calmes, si sages, si silencieux, si respectueux qu'une telle consigne, dans ses mots et dans son ton, n'a pas lieu d'être ?

Cette aura entraîne l'oeuvre dans le domaine du sacré, du différent. On ne peut la toucher innocemment, on ne peut être indifférent. Objet extraordinaire qui introduit à un temps et un espace extraordinaires. Le mode de relation vis-à-vis de l'oeuvre d'art est celui du respect, de la fascination et de la reconnaissance, qui s'entremêlent.

On ne peut pas habiter une oeuvre d'art, impossible. On ne peut y rester, s'installer, faire comme chez soi. Comme dans une église, aussi ; le cinéma ou l'avion et le train au contraire sont habitats profanes. Ils sont écoulement du temps, attente, suspens, histoire, et non pas la force transcendante de l'aura. L'arrivée du train en gare a mis les voyageurs cinématographiques en panique totale (et le film : dehors, le train, et à hauteur des, roues) : une catastrophe de la sphère immune, l'irruption du transcendant dans le profane, dans l'immanent reconduit.

On ne touche pas, les oeuvres d'art. On les regarde. On les brise, parfois -- quelle jouissance, quelle exaltation, après contemplation, combien il est plaisant de briser ce qui nous a fasciné, de détruire ce que l'on a fait si bien (se) tenir, de salir ce que l'on a respecté ! On est envoûté les yeux écarquillés, on touche du bout des doigts autant que l'oeuvre le demande (j'ai failli me jeter sur un tableau, pour toucher sa matière -- Bellmer ?). Laquelle conserve sa distance, sa transcendance -- aux cas contraires elle choit en dehors de l'aura, n'est plus une oeuvre d'art, et tombe sous l'empire du profane : la loi et la morale, les habitudes et jugements sens commun : prétentieuse, perverse, criminelle, pathologique, hermétique, moche, inaccessible, mais aussi rien que matière désubstantialisée, disloquée, éparse.

Le "respect" d'une oeuvre telle dans le profane, on appelle ça l'amour. Culte de l'immanence, esthétisation et intensification de l'habitat, travail de la matière et du temps. Les yeux se ferment, tous les autres sens se mettent en éveil. Mais l'on oublie aussi la loi et la morale, les habitudes et jugements sens commun : plutôt sentir, goûter, penser. Oeuvre de la culture, une aura sombre comme on dit soleil noir. L'oeuvre s'intègre au paysage, et vieillit et pourrit, mais n'est pas à jeter. Elle n'est ni image ni neuf, elle est faite pour vieillir, gagne en maturité.

Nécessité de la vie, elle devient. Ne se fond pas dans le décor : le structure, le forme. Et ce n'est pas un décor. L'oeuvre est alors ses flux, impulsions et pulsions, intentions et désirs, sa matière et sa peau, tout en fragments épars : car elle est tout et l'habitant qui n'est pas spectateur, qui n'est pas communiant pas plus qu'un fidèle, ne la comprend pas dans sa totalité, d'une extériorité, sans pour autant être happé sans recours (ce n'est pas ce dilemne de salle de cinéma).

L'oeuvre est aimée comme on aime la vie, ce qui nous entoure, ce qui nous est habituel, ce qui nous salit les doigts chaque jour, ce que nous yeux sans regarder perçoivent quotidiennement. Comme on s'aime soi-même. Ni oui ni non, un acquiescement absolu, un amour indicible. Que l'on respecte comme on se respecte, comme on respecte la vie ou son environnement : en prenant garde à la conservation, à la voie qui est suivie, à la décantation puis sédimentation. Avec des retours, des régressions et des destructions, des transformations formelles.

Dans l'habitat, une image, on ne la voit même pas. Ou plutôt elle ne porte aucune transcendance, et donc aucun respect ; tout au plus la laisse-t-on vieillir dans son coin, c'est-à-dire pourrir, être détruite par le temps, érosion perpétuelle. Elle n'est que signe, pin-up sur le mur, sourde et muette, aveugle et dépourvue de système nerveux, sa matière n'est que le papier glacé sur laquelle elle repose, en paix et en sourire.

Qu'est-ce qui différencie la culture de la religion (à une époque post-socialiste où la "culture" est devenue religion) ? La religion, c'est d'abord un rapport de face, et un rapport d'image, fut-elle mentale. La force de certaines religions est d'intégrer tout un pan culturel : l'islam, le bouddhisme. L'idée des athées cultureux est d'intégrer la religion au sein de la culture. Il faut sans doute les deux pour que cela tienne : rapport de face et rapport avec, l'Autre témoin et l'Autre jouisseur, la transcendance et l'immanence. S'il faut les deux, cela signifie qu'à défaut ce sera recherché ailleurs. Conception de l'oeuvre d'art totale : elle doit suffire ; comme le monde aujourd'hui, la culture, la vie consommatrice... il faut que ça suffise, que tout y soit, qu'il n'y ait ni manque ni besoin : pensée écologique en somme, au sein d'une unité (l'appartement déjà, le couple, le pays, le monde...). La culture est dans le processus, avec les choses mêmes, à l'instant, dans le temps qui s'écoule ; non pas en face d'elles dans un espace qui suspend le temps. Certains exilés de longue date continuent à se remémorer des images du pays natal, elles seules les apaisent, les mettent en confiance ; c'est le côté "religion".

Entre ces deux idéal-types tous les deux nécessaires, à chacun sa configuration.

mardi, mai 08, 2007

Time of simulation (opinione ex bibli), 1er jour

Les êtres humains sont semblables aux objets qui les entourent. A moins que ce soit l'inverse. On ne sait plus très bien. Ils habitent leur monde. Et puis inversement.

Je me rappelle ma grand-mère qui me disait qu'il y a des morceaux de musique que l'on met du temps à apprécier. Il faut les écouter, et les réécouter. J'avais perçu cela, aussi, gamin, avec de simples morceaux de rock.

Morceaux qui ne livrent pas leurs charmes comme cela. Toute un monde de serrures, de double-fonds, de secrets. Une maison comme Bachelard en rêvait.

Le culte du simple et du décomplexé, le culte du pragmatique et de l'efficace... Rien de tout cela. Le mot d'ordre de Machin que bien trop peu contestent est déjà une horreur en soi, cette efficacité.

Le culte du jetable, du facilement trouvable, du pas cher, de l'interchangeable, des monades nomades. Rien de tout cela. Le géométrique et le désert, très peu.

Des choses compliquées et complexes qui se développent et vieillissent, dans leur monde, l'habitant et étant habité par lui, qui se rejoignent et se recoupent, parfois, sans tout exterminer ce qui déborde du plus petit dénominateur commun. Faire croître les symboles, les métaphores, les extensions à l'infini de lieux imaginés plutôt que, ces liaisons et communications qui laissent mort et desséché, pauvre en fin de vie à un Quick attablé, pour y boire des cafés.

La critique n'est pas possible sur la base de l'axiome désertique. Les anti-cpe ont du mal à comprendre, dans leur urgence d'animal en révolte parqué(e).

Les danses de voiles aux multiples replis, les accords sonores qui touchent sûr au divin, les objets qui font monde et que l'on n'emporterait pas par respect de leur place. Le divin s'est fait la malle en face, sous la forme d'un imaginaire et la simulation. Le moindre propos ignoble résonne sous les voûtes virtuelles des accords monétaires, encens lacrymogène, aucun lacrymosa -- seul le choc des morts par trop vite oubliés, les vivants inimaginés.

Des babioles en carton, des traits de stylo maladroits sur des feuilles repliés, bricolages anodins porteurs de messages aussi sincères que de virtuels moi aussi, aussi nuls. Un médicament, un porno, une carte bancaire, un désir, une fleur qui peine à dire son nom, signe, et le tour est joué, tout fonctionne et les morts oubliés, sacrifiés sur l'autel bétonné d'un autre rêve d'usine, enterrés vivants encore dans leur venin en boucle.

Et Antonio en boucle, concertos de cello, stabat mater et nisi dominus. Boucles qui contiennent et entraînent, toutes les passions du monde, tous les évènements passés et à venir. Qui maintiennent éveillé apaisement vertical. Des boucles et des reboucles contre le temps libéré, ce temps qui fuit et emporte avec lui, lignes droites suicidaires et jouissances atterrantes, hystéries battements de coeur, les angoisses et les crises, puis mort. La mort du point de vue de la vie et tout ce qui prolonge ce qui permet la vie, les lignes droites d'une entité délié. Que les boucles internes à elle emmènent jusqu'à l'éternité, jusqu'à l'art d'habiter, polis amor autrui.

Puit sans fond d'amour inexploré, à l'objet interdit. A jamais supprimé. Garant de soubresauts, mort qui toujours remeurt, un rendez-vous mystique, une boucle terrienne. Des objets bricolés, une danse aux voiles multiples de l'objet habitant, compliqué et complexe, désublimée musique à apprécier longtemps.

lundi, mai 07, 2007

Une catastrophe non spectaculaire

A l'heure des décomplexions des (vieux) démons, on nous présente Sarkozy comme pouvant même faire appel à des socialistes dans le gouvernement.

Comme s'il était là pour mettre en place un programme qui repose dans l'imaginaire (au sens fort). Et dans ce programme tout ce qui dépasse d'un certain cadre, en précis d'une certaine catégorie d'animal social du "parc humain" comme dirait l'autre, sera coupé sec.

Comme s'il visait à distribuer les conflits, à instaurer le grand cadre qui comportera les forces opposées, toutes les forces légitimes, réprimant les non-légitimes d'autant plus sévèrement.

Je ne serais pas étonné que les trois quarts des français, dans un ou deux ans, se déclarent satisfaits de Sarkozy. Car après tout, dans le panel des habitus légitimes, qui ne se reconnaitrait pas, et surtout fantasmatiquement ?

Si cela est possible, n'est-ce pas qu'il y a déjà un "parc humain" d'animaux bien dressés ?

Ou n'est-ce que le reflet des medias ? Brouillant un peu plus la carte médiatique : où est la source ?

Où l'on voit où se doivent les efforts porter...

Ventilation par classe d'âge des votes Royal :

18/24 53%,
25/34 54%,
35/49 56%,
50/64 51%,
65+ >25%.

Parce que recomplexer tous les décomplexés, à tous les niveaux de la société, ça va pas être facile. Les démons ont été lâchés, Sarkozy n'a peur de rien. La vague qu'il porte avec ses sourires et ses mots encourageants, où l'on susurre même que des socialistes de gauche pourraient être appelés au gouvernement, cache une réalité beaucoup moins "centriste" et multiple.

Des flics qui lacrymonent en sortie de concert et des flics qui se lâchent dans l'eugénisme et l'anti-"gauchisme", ça commence à faire peur. Les plus de 65 ans. Nés avant 42... Et après on nous rabat les oreilles avec les devoirs de mémoire et toutes ses horreurs. Génération baby boom, génération mai 68, ces connards "d'interdit d'interdire". On commençait à avoir des doutes sur leur compte, surtout après 2002 (et un Cohn-Bendit appelant à voter pour Chirac), maintenant on sait que la seule production de cette génération ce sont les "Nouveaux Philosophes". Serait temps qu'on les dégage fissa. Manu militari, décomplexion à gauche à l'endroit de ces bâtards. On savait déjà qu'ils nous avaient pondu les années 80, dont Sarkozy est la dernière émanation, on les pensait pas capables de récidiver.

En 33 aussi on a vu ce que s'appelait décomplexion. C'est là-dessus qu'a tablé Sarkozy. Je ne fais pas de rapprochement hasardeux, c'est le même schéma, pas la même chose qu'il y a derrière.
Et cela doit faire dix ans que Belhaj Kacem a appelé les intellectuels de gauche à la décomplexion, il serait temps de s'y mettre. On risque encore d'avoir des grèves, des manifs et autres conneries. Serait temps que le suicide arrête d'être la réaction spontanée des faibles ; occupations des facs pendant le cpe, les "étudiants" huaient quiconque appelait à autre chose qu'à glander, fumer des joints, jouer de la guitare, lacérer quelques pubs ; en 68 beaucoup étaient cons qu'on en reviendrait pas aujourd'hui, mais au moins ils développaient des idées, ne creusant pas le vide face à la décomplexions des démons et du vide sidéral qui viennent d'être lâchés. C'était plus simple de s'opposer à un monarque, aujourd'hui ils préfèrent être dans l'air du temps, sur la vague fun et riche, la décomplexion des déjà morts.

Vieux, vieilles, encore un petit effort !

PS : je crois que je vais lire le Vita Nove, il n'y a sans doute plus que ça à faire, ineux feurst taïm...

dimanche, mai 06, 2007

18h50-19h50 Minuit là-bas

Il doit être minuit là-bas et ici les gens (on dit comme ça, maintenant, les gens, et pas les français, encore moins les citoyens, ou mes compatriotes), les gens, le public, les consommateurs d'un feuilleton dont ils ont été appelés à écrire le dernier épisode, comme la vieille elle disait, hier, "elle a aucune chance, c'est sarko qui va gagner, il faut voter sarko", les gens, cette masse d'abrutis à sabrer d'un revers en guillotine tranchante, ont encore une heure, deux dans la plupart des villes, pour aller faire basculer un brin la balance en ses plateaux même alourdie, un tout petit peu, un rien de rien, pas comme ces débiles profonds, euthanasiés, même qui jouant le jeu d'une représentation enterrée aux os bien rongée, ne se reconnaissent pas dans ces deux gens bons là, et voudraient voter blanc, abrutis, ne comprenant pas qu'un face à face n'est qu'une élimination par trop brutale.

Il est minuit là-bas et ici c'est l'angoisse. Une angoisse défaitiste au rire désespérée, depuis deux ans déjà, ou plus encore, qui saurait le dire, le temps passe trop vite, il y a trois ans déjà on le trouvait trop présent, le bonhomme. Pays de zombis à l'atterrante romanité, pris dans le flot d'un spectacle collectif, d'un imaginaire politique, et plus encore que politique. Pays de robots pseudo-réflexifs, chacun pris dans les rets d'une intelligence artificielle, de schémas logiques de stratégies non par eux construites, participants du spectacle, des ramasseurs de balle, guichetiers, votant par sms, ou spectateurs conscients assis dans les tribunes.

Il est minuit là-bas et on espère que les sondages sont vraiment truqués jusqu'au bout, jusqu'au trognon du fin fond du cul profond, ou que les gens ont sincèrement répondu le contraire de ce qu'ils ont urné. Il est midi de l'autre côté où des français bernés voient dans l'un le changement, dans l'autre l'immobilisme. Midi où l'on stigmatise une population d'un pays décentralisé qui se moque de son sommet très sommairement exécutif.

Il a fait beau et chaud, aujourd'hui, mais pas trop. Quelques nuages, un peu de vent. Un temps à rester stoïque, mais le soleil couché les gouffres de la consternation s'entrouvrent. Ne pas écouter les logorrhées plates de cerveau lénifiés qui couvriraient n'importe quoi.

La France d'en bas, les bouseux, les populos, les vieux trop seuls, les jeunes cons, les aspirants winners, ces Sean Penn d'une assassination of Richard Nixon sans stimuli rebelle. Cette France moche semblable à celle de Louis-Fer' dans ses quartiers pourris. Une masse de guedins mis en joue par le pouvoir et qui en redemande, s'ébrouant dans sa merde.
Les rares grésillement par ici sont ceux des chers tasers, si ces gadgets fonctionnent encore. Il y a du champagne au frigo, aussi, un peu pour oublier.
On voulait bien changer les choses, un peu, dans ce pays. La situation est grave, mais pas désespérée. Maintenant...

Maintenant qu'un imaginaire sociopathe et pas que sociopathe s'est emparé des lieux, le recouvrant d'une chape qui peut bien nous faire peur. On l'aime bien, ce pays, on est pas des Noah qui ont "plusieurs options" et plaignent très sincèrement ceux qui n'en ont pas. Guedins qui ont des "options" et qui n'ont même que ça, si seulement il était question de faire un peu autre chose. Aller crier hurrah au sein de la nba, chanter des chansons niaises et faire son beurre en venant parler trois secondes n'a jamais fait peur aux loups. Le pcf pouvait faire peur, mais aucun communiste n'a été président, en France. Et jamais le communiste n'a été aussi peu combattu que cette droite dans ce pays.

On se plaignait d'un manque d'action, on se plaignait que la guerre, seule réalité de l'Europe, même et surtout exportée, n'ait plus lieu, et la voilà peut-être pour bientôt, à nouveau, peut-être localement généralisée chaque fois, revenue. Chouette alors. Qu'est-ce qu'on se f'sait chier. Un peu d'action. A rater le coche d'instaurer la joie voilà ce qu'on récolte. Quand personne parle y'a toujours un ou deux connards qui lèvent le doigt pour dire ce qu'il ne fallait pas dire, les seules réponses évidentes, ce qu'il y avait avant, les vieilles habitudes que l'on avait heureusement perdues.

Je n'ai aucun doute sur le merveilleux monde qu'un tel président pourrait nous apporter. S'il est conforme aux souhaits de Sarkozy, il pourrait même ne pas être trop invivable, pour qui ne meurt pas de faim, n'est pas en situation irrégulière, et autres éléments qui stigmatisent dans une marge raclée à fond d'espoir, même pour un moment seulement, tous ces mauvais moments mauvais endroits. Mais le pire n'est pas là. Que personne ne le voie, c'est là le problème. Que l'on analyse cette horreur qui nous est promise, cette imaginaire drainé, et que l'on arrête de faire les opposants, les critiques, cela ne sert à rien. Un bassin sémantique s'érode ou passe dans un autre, avec ses affluents, notamment, dit l'autre. S'opposer, cela s'appelle la guerre, pas de la critique. On peut aussi comprendre, sans critique, jusqu'au bout, ce qui nous tombe dessus, et sans cesse trouver des armes, dans cette fuite vers le vide, jusqu'au creux de cet imaginaire fondé sur la simulation, sans imagination, de simples structures très désymbolisées. Et quand bien même il y aurait des symboles.

On se demande où l'on est, et peut-être que seul un évènement nous le montre. On le sent monter, on le sent venir, mais il ne reste jamais qu'un possible jusqu'à ce qu'il survienne. Pour mieux dire s'actualise.

Il serait temps de rêver, il serait temps d'actualiser tous les possibles qui ne surviennent pas, parce qu'il y en a beaucoup. Sarkozy lui n'a jamais hésité, il a foncé dans le tas, grand producteur de lui-même. On dirait qu'il connait bien Duchamp et Warhol, des instruments bien sûr.

Dans la rue une sirène de police. C'est leur Far-West à eux. C'est tellement cool d'avoir le monopole de la légitime violence. D'être habillé par Christian Lacroix. D'avoir la hiérarchie avec soi, et beaucoup plus encore.

Il doit être vers minuit où il fait encore chaud.

Des bonjours aux sourires.

Un phénomène si banal, ou l'orchestration de l'horreur

On dit "Un stade de haute technologie" (titre) ou encore "la biométrie se démocratise".

Dans l'Equipe du 4 mai, un article sur le stade grenoblois, on y dit des choses comme "Un stade de haute technologie" (titre), ou encore, "la biométrie se démocratise".

Dans les discours publics, toujours étonné par les sophismes (si c'en est) : on tire vers soi les façons de penser, qui deviennent "pur graphisme"... Comme ça nous arrange, pour illustrer sans état d'âme (et avec contemplation, avec ça), notre position dans le champ comme dirait l'autre.

On se garde bien de référencer les propos, les paradigmes sur un sujet, avant de dire notre mot, et même on choisit l'un des mots existants, s'il nous permet de nous "exprimer" suffisamment. On les oublie volontairement, les autres, pour n'envisager, en images, que le notre, et ceux qui lui sont proches. Il serait intéressant, à l'heure où l'on nous pose sous le nez quelques images seulement pour tout sujet -- international oblige, dira-t-on, encore une petite image --, de faire la liste in extenso de toutes les images possibles pour un sujet donné. Ce devrait être un travail de journalistes, ça, non ? Eux qui font tout le contraire.

C'est exemple n'est rien, prenez n'importe lequel. Comment on construit un sujet, une petite fiction (une microfiction, comme dirait l'autre)... le sophisme, s'il s'agit de sophisme, marche à tous les coups.

samedi, mai 05, 2007

Les marges abandonnées et le lieu indicible

Les discours sur le suicide, dans ce pays, visent à cacher que tout le monde s'en fout, surtout si le suicide n'a pas (encore) eu lieu. Plus encore, même, avant qu'il ait eu lieu, tout le monde encourage au suicide, quand ne marque pas une parfaite indifférence, du genre haussement des épaules, ce n'est pas mon problème, je m'en fous.

Le suicide doit valoir comme une carte de visite, une phénomène étiquetant, quelque chose à partir de quoi on peut enfin travailler. Là les regards bovins, affairés ou placides s'éclairent, le petit électrochoc frappe la cloche du système cognitif.

Ce n'était qu'un acte manqué. Comme tous les ans sauf que là j'ai raté la dernière marche, sur laquelle j'atterris d'habitude. Le réveil a du sonner mais je ne l'ai pas entendu. A 14h15 le secrétariat est fermé, le dossier n'a pas été tamponné, je risque fort de ne pas avoir ma chambre l'an prochain. On peut bien nous parler de concurrence, c'est comme le travail : ce n'est pas vraiment ce qui compte ; c'est un peu comme le suicide, la concurrence, ou encore comme un enfant qu'on bat ou qu'on laisse crever de faim, ça marque et enjoint à un destin ; peut-être est-ce que je ne la sens pas assez, peut-être est-ce que ce n'est pas le problème. Grave erreur, peut-être, mais le suicide prend forme là où il n'y a rien à perdre, aux marges déjà abandonnées, serait-il la marque de l'abandon, serait-il question de soi. Le jour où vous verrez un être humain abandonner ce qu'il a à perdre, ce ne sera pas à cause de lui. C'est une marque de noblesse, une marque de pudeur, une marque humaine. Ou alors ils sacrifient justement ce qu'ils ont à perdre ; un sacrifice ; c'est rituel et sacré.

Stratégie du suicide : abandon des marges abandonnées. Le serpent mue et le papillon a son système cognitif peut-être reformaté. L'oubli : grave question, surtout quand certains viennent nous dire que notre corps garde la mémoire de tout ce qui nous est arrivé ; et peut-être de tout ce qui ne nous est pas arrivé, et même de ce que personne ne sait ; ça ne veut pas dire que nous devrions le savoir ; mais connais-toi toi-même, ça veut dire quoi, alors, dans ce cas-là. Il y a des gens qui s'inscrivent dans des écoles qu'ils ne veulent pas faire et acceptent le formatage, ils s'en remettent à l'institution dans un abandon de souveraineté et souhaitent et exigent en contrepartie ce que l'école leur promet, généralement plein de sous ; leur rébellion a d'autant moins de chance d'arriver qu'elle serait alors contre eux-mêmes, contre leur abandon, contre leur lâcheté ; déjà que l'on ne dit pas ses lâcheté, même à soi-même parfois, alors de là à en faire la base d'une lutte, on peut toujours rêver.

Ces gens dans les écoles sont cernés de prêt. C'est comme mourir de faim ou devoir à tout prix trouver sa drogue. C'est comme une sévère concurrence sensible, comme la nécessité de travailler. C'est comme un connard d'"adulte" qui vous bat par plaisir ou punition quand vous êtes môme, et vous punit en plus comme si cela ne vous suffit pas, ou un flic qui vous matraque à mort dans son commissariat avant que la justice vous mette au ban et pour longtemps. Vous n'avez rien à perdre, il n'y a plus de marge abandonnée. Vous êtes une marge abandonnée.

Maîtriser l'abandon, c'est maîtriser l'oubli. Savoir partir, comme on quitte un lieu habité, comme on quitte un amour. Savoir rompre les liens, savoir ramasser ses affaires. Regrouper l'essentiel sur soi, en soi, comme le voyageur, le nomade, l'escargot, le réfugié en exode, encore que les réfugiés n'ont décidé de rien, ils n'ont pu rien prendre ou veulent à tout prix déplacer leur maison entière. Savoir conserver et protéger une zone qui reste habitée. Là où chante la ritournelle. Un vide habité où l'on peut se retrouver, que rien ne peut atteindre. Qui n'est même pas soi-même, elle n'est rien d'autre et pas même elle-même, pour ne pas risquer de la perdre avec son propriétaire, avec son analogie. Le Tao comme Foucault ne semblent rien dire d'autre, sur ce point.

Comme un arbre dont l'on coupe les branches au printemps. Comme une plante dont l'on enlève les feuilles mortes et les corps morts. Comme une maison dont l'on lisse les bords et que l'on renferme sur elle-même. Une camera oscura, parfois avec fenêtres, et puis des canalisations, certains y pourraient voir un téléphone, et Internet peut-être, mais personne n'y entre et le propriétaire est un fantôme, il n'entre pas, il est ce lieu, ou le détient en lui.

Lieu de l'être, ce mot pourtant suffit à le faire fuir. Indicible et muet, aveugle et sourd, tout au fond il ne se laisse distraire par rien, entre lui et le monde une multitude de filtres le protègent et le cache à l'abri des regards, et pas que des regards. Il est nourrit par voie indirecte, à travers ce que le corps intègre, après transformation, un peu comme un placenta. Mais comme l'inconscient, il n'est pas localisable dans le corps, quoi qu'en espère Freud. Allez donc localiser le vide dont parle le Tao. Il y a des choses ainsi que l'on ne peut indiquer. L'explication climatique est encore la moins bête et la plus accessible, quoique toujours absurde, le moindre effort scientifique la balayant sans faillir : par exemple s'il en va ainsi sous ce climat, pourquoi n'en va-t-il pas de même ailleurs, sous le même climat.

Il ne faut pas perdre la ritournelle, dit Gilles dit Chloé. Mais ne pas trop l'écouter non plus, les cages à oiseaux n'aiment pas être trop ouvertes, et la compagnie d'un perroquet doit finir par lasser. En fait de mélodie, elle peut aussi n'être qu'un souffle.

Si un suicide ne met dans la joie, à quoi bon ?

Confiance ; la joueuse

Tout dispositif, au sens où il met en confiance, au sens de Belin, est un dispositif qui, tel que perçu par celui qui est en confiance, soit retire du reste du monde, et fait comme une sorte de niche qui entre dans un rapport totalement relativiste avec le reste du monde, considéré comme un ou comme un ensemble d'autres niches, soit comme un dispositif de dominants, qui offre une domination sur les autres dispositifs considérés comme d'autres positions à l'intérieur du même monde, du même champ plutôt.

On ne peut vivre qu'en intégrant dans notre perception le dispositif dans lequel nous nous trouvons sous l'un ou l'autre de ces deux auspices. Et ce que Becker nomme improvisation, c'est notre jouissance au sein du dispositif, notre jouissance du dispositif ; la jouissance étant ce qui marque l'appartenance, désigne l'assignation à résidence (certaines jouissances sont impossibles, d'autres, pas forcément les notres, phantasmées, même en proie à une peur panique : la jouissance réunit les partenaires d'un même dispositif qui s'étend bien au-delà d'eux ; la peur panique en question dénote un dispositif dans lequel nous sommes pris et dont nous voulons sortir ; la jouissance en question, nous tuerions ses participants, pas par jalousie, mais parce que nous souhaitons effectivement tuer en nous ce dispositif dont nous ne voulons plus, quitter ce champ dans lequel nous n'avons plus confiance).

Les techniques de survie, que Nietzsche a commencé à introduire, n'ont pas d'autre but que de constituer des dispositifs qui soient des niches à part, ou de faire en sorte d'occuper une position dominante dans un champ à trouver.

La pensée ''critique'', à tendance paranoïaque, butte sur ce fait : s'il n'y a pas mort, il y a retrait ou domination. Elle ne comprend pas cela car elle fait corps avec ce qu'elle combat : l'extension d'un seul champ, la vulgarisation d'un seul dispositif, dont la "démocratisation" n'est qu'un exemple.

Au passage : certains s'en prennent aux femmes, car c'est elles qui, gardiennes des dispositifs, veillent à ce que les moutons restent enfermés, reconduisant la confiance quand bien même tout montre qu'elle a disparu. Mais on peut aussi remarquer, à l'inverse, que les sentiments maternels se perdent, sous l'effet notamment de nouveaux dispositifs à accepter, à intégrer de force s'il le faut (la séductrice, la prostituée, la femme d'affaire, l'actrice porno). Et si leur nouveau rôle était d'introduire à de nouveaux dispositifs voulus, nés des acteurs eux-mêmes ? (Lou Andreas-Salomé, la femme de Mahler, les nièces du Baron, et j'en passe.)

Ne pas vouloir quelque chose, ne pas le désirer. Une action. Comme s'il y avait le choix. Les habitudes et les inhibitions prennent le dessus.

On dirait que c'est un jeu, d'accord ? Nous n'avons pas le choix, il nous faut le désirer. Il nous faut nous débrouiller pour le désirer. Nous pouvons introduire des éléments qui ne sont pas dans la boîte de jeu, les règles sont suffisamment simples pour être augmentées de multiples règles informelles. Elles ne stipulent qu'une action bête, sans préciser ses modalités.

La séductrice fait tout pour ne pas jouer. La femme d'affaire décide que cela ne sert à rien, elle n'a que du mépris pour le jeu. La prostituée accepte tout sans le vouloir, sans le désirer, sans l'aimer. L'actrice porno aime tout avant même de faire quoi que ce soit. La joueuse est très différente d'elles quatre. Elle est leur résorbtion, leur antidote. Elle est développement, sans cesse recommencé, sans cesse borné, succession de vies et de morts (elle diffère donc de la copine et de la mère), phoenix polymorphe ontologiquement vide, néant, pur possible. Sans être ni sainte ni ogresse, elle emprunte pourtant aux deux, pour la bienveillance de l'une et le sans limites de l'autre. Elle appartient toujours à la situation, au jeu qui se joue, sans être schizophrène. Elle appartient aux "installations", soit "explicitations esthétiques de l'encastrement" (Sloterdijk, Ecumes, 471). Elle est reine du faux, la plus vraie, actrice sincère et non attribut des situations, ni pute ni actrice. Elle a dépassé tout féminisme depuis longtemps, elle est à la fois libre et perdue, infondée, nomade, une ontologie uni-sexe.

La télécratie

Il n'y a pas que les machines à voter qui instaurent, sur les ruines de la démocratie représentative, une télécratie.

La démocratie représentative, c'est daté, et c'est un peu la même chose que la télécratie, mais pas à la même échelle, ce qui change beaucoup de choses.

Les romans du 19e nous ont habitué, je crois, aux scènes de démocratie participative. Chacun vote suivant son rôle local, suivant sa communauté, sa classe sociale. On va voter en groupe, le vote est une fête, le candidat porté en triomphe par ses électeurs, jusqu'au bureau de vote. Elections locales, certes, mais la représentation fonctionne, via les élus, sur tout le territoire. La représentation, c'est une question de communautés, d'intérêts (notion qui ne peut être que communautaire, avance Sloterdijk (Sphères 3, p. 515). Celui qui nous représente fait partie de notre communauté, ou du moins regarde avec nous, et non nous regarde. Marx notait que "Bonaparte défendait avec sa dictature populaire une classe et ses besoins encore insuffisamment articulés, "la classe la plus nombreuse de la société française, à savoir les paysans parcellaires" (Marx, 18 brumaire)" (Sloterdijk, 511-12). "La propriété parcellaire a transformé la masse de la nation française en troglodytes. Seize millions de paysans (femmes et enfants compris) habitent dans des cavernes dont un grand nombre ne possède qu'une seule ouverture, une petite partie n'en a que deux, et la partie la plus favorisée en a seulement trois. Or les fenêtres sont à une maison ce que les cinq sens sont à la tête" (Marx ; Sloterdijk, 513). Le Corbusier parlera lui d'aération psychique. A l'époque, en France, il y a une taxe sur les fenêtres...

Déjà un début de télécratie, ce Bonaparte. Maintenant ça ne fonctionne pas autrement, nous ne sommes pas moins troglodytes. Le trompe l'oeil italien l'emporte sur le rituel byzantin. Nous sommes détachés de tout cela, avec peut-être des "besoins encore insuffisamment articulés". Il y a tellement de communautés, et tellement de solitaires, que la place publique est désertée, au profit des consommateurs anonymes, et des règles du commerce. Le topos commercial vaut comme lieu public, lieu commun (les citoyens développent certes des stratégies de consommateurs, mais le marché est pauvre, on est encore loin du client roi ; on est plus proche des étals soviétiques, où par moins quarante on a le choix entre un maillot de bain bleu et des tongs grises). De là pourtant vont se créer les lois.

Commerçants ou consommateurs, ou encore publicitaires (militants), la distribution des rôles n'est pas trop compliquée. On peut bien aller voter comme on fait la queue, le long des boulevards glauques, au vidéo club en distributeur automatique, seul point éclairé, au néon, de la rue automobile, en ayant peur de son voisin, même s'il regarde les mêmes films que nous.

"Vivre dans le virtuel"

J'ai fini par comprendre ce que voulait dire préférer la fiction, ou le virtuel, au réel, ou encore vivre dans la fiction ou le virtuel et non dans le réel. Mais la plupart de ceux qui disent cela feraient mieux de se taire.

J'angoissais pas mal, et je me suis mis à écrire quatre pages, sur papier au stylo, en attendant un film qui avait l'air pas mal sans regarder à l'heure (j'ai raté un quart d'heure). J'ai regardé ce film sans fumer une seule clope, en me forçant à regarder, à rentrer dans le film, à m'apaiser. Pour la compréhension globale et enfiévrée, c'est pas ça, mais cela peut peut-être ouvrir à une compréhension moins discursive et plus sensible. Peut-être.

Deleuze a écrit qu'il faudrait lire un livre comme on regarde un film. Je n'ai pas trop compris. Cela fait quelques années que je n'arrive plus à regarder un film seul, parce que je le regarde comme j'écoute un cours : compréhension globale et enfiévrée, angoisse à tendance paranoïaque. Un livre, au contraire, j'entre dedans beaucoup plus facilement. Et bien j'ai regardé le film comme je lis un livre. Cela ne donne peut-être pas ce que Deleuze voulait dire, mais je m'y retrouve.

Le film ce n'est pas pour de vrai, ce n'est pas du réel. Mais ça pourrait l'être, c'est un possible, certains éléments pourraient être vrais. Le virtuel et le réel sont séparés, chacun étant très important, et il y a une circulation entre eux. Les rigidifiés qui ont tendance à stigmatiser on ne sait trop qui supposé vivre dans le virtuel et non dans le réel, opposent Freud : le virtuel et le réel doivent être maintenus séparés, sans circulation, autrement dit "on ne réalise pas ses phantasmes" -- la circulation est donc comprise comme simple passage de l'un dans l'autre, un point important on le verra, et dans le sens virtuel vers réel, c'est l'horreur suprême selon eux -- ; cette conception permet d'exclure réel et virtuel, et, par exemple de mener une vie sexuelle néantissime et de développer dans sa petite tête des phantasmes sans aucune limite : dès que la circularité cesse, l'exclusion s'installe et les deux se mettent à se répondre. Les seuls opposants aux freudiens disent eux qu'il faut réaliser ses phantasmes, comme quoi ils n'en sortent pas. Face à un film (mais aussi : un jeu vidéo, une oeuvre d'art, un discours politique, un roman, Loft Story, Etre et Temps, un cours de Baudrillard sur la simulation ou... un texte de Freud ?), tous ces braves gens vont reconnaître deux instances sans rapport entre elles : la fiction, et le réel, soit le monde de l'imagination et le principe de réalité. Imagination et non imaginaire, réalité et non réel, principe et non, par exemple, monde...

Dans une circulation entre les deux, on se moque bien de les exclure, et l'on se moque bien de savoir si c'est une "histoire vraie" (comme mon frère, qui demande aussi sans cesse en entendant parler de quelqu'un, s'il est mort), ou si elle est bien morale, ou encore si l'on peut "réaliser" le film...

La simulation repose sur une négation du virtuel, mais au profit d'une vie en lui seul. On se coupe du réel, ce qui a pour seul but de faire passer le réel dans le virtuel, de le réaliser au sein du virtuel. De là le principe de la modélisation, notamment. Cela appauvrit effroyablement le virtuel, mais le pire est encore à venir, car déjà si une circulation s'installe, ce n'est pas tout à fait ça (enfin, ça fait du Baudrillard, peut-être, ce qui n'est déjà pas mal), mais surtout si ce virtuel-là est réalisé dans le réel, c'est l'horreur absolue. Et c'est exactement ce que cautionnent la plupart des gens qui reprochent, aux "jeunes" je crois, de trop vivre dans le virtuel. Ce sont les architectures fondées sur la seule géométrie, ce sont les médias, les pires jeux vidéos... un vieux thème platonicien qui a pour conséquence d'assujettir le réel à un réel phantasmé, à sa modélisation par exemple.

Voilà ce que signifie vivre dans le virtuel : risquer de modéliser le réel et ensuite de le formater selon cette image. Durand et Maffesoli disent peu en affirmant que le mythe revient en masse : c'est le réel qui se perd, dorénavant. Mais dans les deux cas, modernisme ou postmodernisme, la circulation entre le virtuel et le réel est empêchée, et les deux sont exclus l'un l'autre.

Le simulacre -- ce qui s'oppose à la simulation selon Baudrillard --, c'est au contraire cette circularité retrouvée. C'est peut-être ça, au fond, un vrai libéralisme (dans le texte désangoissant il y a avait aussi : circulation du sens, des marques, des objets, de la matière). C'est peut-être cela, aussi, que l'on appelle culture -- quand bien elle serait entravée : ce sont alors des cultures clivées (par exemple Sarkozy, et tout un ethos bourgeois). Reste peut-être qu'un simulacre ne prend forme que dans le renversement d'une simulation (Cervantès, Vélasquez, Duchamp, Handke...).

La simulation repose sur la représentation, le culte de la représentation. Représenter, c'est ce mouvement qui consiste à mettre en images le réel (pourquoi donc, quand vous dessinez une tête, tout le monde vous demande "c'est qui ?" ; toute la critique, du reste, repose sur ce schéma, au point que lorsqu'ils ne savent pas quoi dire, ils brodent en disant que ça représente ceci ou cela... est-ce que Duchamp a représenté le monde de l'art dans Fountain, et qu'avez-vous dit lorsque vous avez dit que Cervantès représente les romans de chevalerie, best sellers de son époque ?). La représentation n'a de pouvoir que "magique" : si on la reconnaît... Le simulacre possède une force intrinsèque parce qu'il contient, et ne représente pas. Mais Sarkozy est une simulation de fasciste et non un simulacre (de même que "le peuple" pourrait être une simulation de peuple, et non un simulacre), sans doute parce que la simulation seule mobilise dans son mouvement, emporte avec elle, l'être humain, l'assujettit à sa réalisation. Le simulacre est produit et est détaché de son producteur, même si celui-ci se met en lui (parce que le simulacre explicite ce qu'il représente, il est donc un renversement de ce qui est représenté ; la simulation au contraire implicite toujours un peu plus, jusqu'à ce que tout soit parfaitement implicité : on n'en peut plus sortir, comme dans ce film avec Jim Carrey, ou la France policière sous l'impulsion de Sarkozy). En politique, on est très loin d'atteindre ceci, et sans doute d'autant plus que l'on reste dans la politique de masse ; à moins qu'un dirigeant vienne nous faire un simulacre d'Etat ? Mais lequel aura le courage de ne pas tenir son rôle, et de le tenir trop bien en plus de ça ? (Et qui pourrait cacher un Père Ubu...)

[Remarque : créer, c'est faire du simulacre. Pas d'autre moyen. Le simulacre est création. A quoi sert la simulation ? A être renversée. Et les autres simulacres ? Inspiration, répétition.]

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La simulation prend sa source dans la représentation. Représentation des choses, représentation de nos vues, représentation de nos idées. Représentations de représentations, pourrait-on dire.

Le simulacre prend sa source dans la représentation de soi. Une représentation de soi qui est compréhension de soi. Non pas une représentation de représentation, mais un retour sur soi, comme un rabattement.

Dans la simulation on redouble une représentation par sa représentation. Dans le simulacre on redouble du réel, de la présentation.

Par exemple je fais des actes manqués, plusieurs autour d'une même action. Je suis allé quelque part, et je m'aperçois ensuite des signes qui ont probablement fait que je suis allé là. Simulation si je perçois et représente le système interprétant ces signes, système supposé par moi et qui est déjà représentation (de la même manière que certaines personnes regardent le sens de leurs rêves dans des dictionnaires à ce sujet, et tissent -- ou plutôt projettent -- ensuite leur interprétation suivant ce qu'elles y lisent). Simulacre si je vois que le sujet n'est pas ce système mais moi et le lieu où je suis allé. C'est l'exemple qui permet de comprendre la règle, mais par là, d'une certaine manière la réfute, ie en tant que règle, en tant que loi.

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Ville invivable : c'est terriblement faux et ça se veut pour vrai...

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Celui qui "vit dans le virtuel" ne sait plus ce qu'il y recherche.


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