samedi, mai 05, 2007

"Vivre dans le virtuel"

J'ai fini par comprendre ce que voulait dire préférer la fiction, ou le virtuel, au réel, ou encore vivre dans la fiction ou le virtuel et non dans le réel. Mais la plupart de ceux qui disent cela feraient mieux de se taire.

J'angoissais pas mal, et je me suis mis à écrire quatre pages, sur papier au stylo, en attendant un film qui avait l'air pas mal sans regarder à l'heure (j'ai raté un quart d'heure). J'ai regardé ce film sans fumer une seule clope, en me forçant à regarder, à rentrer dans le film, à m'apaiser. Pour la compréhension globale et enfiévrée, c'est pas ça, mais cela peut peut-être ouvrir à une compréhension moins discursive et plus sensible. Peut-être.

Deleuze a écrit qu'il faudrait lire un livre comme on regarde un film. Je n'ai pas trop compris. Cela fait quelques années que je n'arrive plus à regarder un film seul, parce que je le regarde comme j'écoute un cours : compréhension globale et enfiévrée, angoisse à tendance paranoïaque. Un livre, au contraire, j'entre dedans beaucoup plus facilement. Et bien j'ai regardé le film comme je lis un livre. Cela ne donne peut-être pas ce que Deleuze voulait dire, mais je m'y retrouve.

Le film ce n'est pas pour de vrai, ce n'est pas du réel. Mais ça pourrait l'être, c'est un possible, certains éléments pourraient être vrais. Le virtuel et le réel sont séparés, chacun étant très important, et il y a une circulation entre eux. Les rigidifiés qui ont tendance à stigmatiser on ne sait trop qui supposé vivre dans le virtuel et non dans le réel, opposent Freud : le virtuel et le réel doivent être maintenus séparés, sans circulation, autrement dit "on ne réalise pas ses phantasmes" -- la circulation est donc comprise comme simple passage de l'un dans l'autre, un point important on le verra, et dans le sens virtuel vers réel, c'est l'horreur suprême selon eux -- ; cette conception permet d'exclure réel et virtuel, et, par exemple de mener une vie sexuelle néantissime et de développer dans sa petite tête des phantasmes sans aucune limite : dès que la circularité cesse, l'exclusion s'installe et les deux se mettent à se répondre. Les seuls opposants aux freudiens disent eux qu'il faut réaliser ses phantasmes, comme quoi ils n'en sortent pas. Face à un film (mais aussi : un jeu vidéo, une oeuvre d'art, un discours politique, un roman, Loft Story, Etre et Temps, un cours de Baudrillard sur la simulation ou... un texte de Freud ?), tous ces braves gens vont reconnaître deux instances sans rapport entre elles : la fiction, et le réel, soit le monde de l'imagination et le principe de réalité. Imagination et non imaginaire, réalité et non réel, principe et non, par exemple, monde...

Dans une circulation entre les deux, on se moque bien de les exclure, et l'on se moque bien de savoir si c'est une "histoire vraie" (comme mon frère, qui demande aussi sans cesse en entendant parler de quelqu'un, s'il est mort), ou si elle est bien morale, ou encore si l'on peut "réaliser" le film...

La simulation repose sur une négation du virtuel, mais au profit d'une vie en lui seul. On se coupe du réel, ce qui a pour seul but de faire passer le réel dans le virtuel, de le réaliser au sein du virtuel. De là le principe de la modélisation, notamment. Cela appauvrit effroyablement le virtuel, mais le pire est encore à venir, car déjà si une circulation s'installe, ce n'est pas tout à fait ça (enfin, ça fait du Baudrillard, peut-être, ce qui n'est déjà pas mal), mais surtout si ce virtuel-là est réalisé dans le réel, c'est l'horreur absolue. Et c'est exactement ce que cautionnent la plupart des gens qui reprochent, aux "jeunes" je crois, de trop vivre dans le virtuel. Ce sont les architectures fondées sur la seule géométrie, ce sont les médias, les pires jeux vidéos... un vieux thème platonicien qui a pour conséquence d'assujettir le réel à un réel phantasmé, à sa modélisation par exemple.

Voilà ce que signifie vivre dans le virtuel : risquer de modéliser le réel et ensuite de le formater selon cette image. Durand et Maffesoli disent peu en affirmant que le mythe revient en masse : c'est le réel qui se perd, dorénavant. Mais dans les deux cas, modernisme ou postmodernisme, la circulation entre le virtuel et le réel est empêchée, et les deux sont exclus l'un l'autre.

Le simulacre -- ce qui s'oppose à la simulation selon Baudrillard --, c'est au contraire cette circularité retrouvée. C'est peut-être ça, au fond, un vrai libéralisme (dans le texte désangoissant il y a avait aussi : circulation du sens, des marques, des objets, de la matière). C'est peut-être cela, aussi, que l'on appelle culture -- quand bien elle serait entravée : ce sont alors des cultures clivées (par exemple Sarkozy, et tout un ethos bourgeois). Reste peut-être qu'un simulacre ne prend forme que dans le renversement d'une simulation (Cervantès, Vélasquez, Duchamp, Handke...).

La simulation repose sur la représentation, le culte de la représentation. Représenter, c'est ce mouvement qui consiste à mettre en images le réel (pourquoi donc, quand vous dessinez une tête, tout le monde vous demande "c'est qui ?" ; toute la critique, du reste, repose sur ce schéma, au point que lorsqu'ils ne savent pas quoi dire, ils brodent en disant que ça représente ceci ou cela... est-ce que Duchamp a représenté le monde de l'art dans Fountain, et qu'avez-vous dit lorsque vous avez dit que Cervantès représente les romans de chevalerie, best sellers de son époque ?). La représentation n'a de pouvoir que "magique" : si on la reconnaît... Le simulacre possède une force intrinsèque parce qu'il contient, et ne représente pas. Mais Sarkozy est une simulation de fasciste et non un simulacre (de même que "le peuple" pourrait être une simulation de peuple, et non un simulacre), sans doute parce que la simulation seule mobilise dans son mouvement, emporte avec elle, l'être humain, l'assujettit à sa réalisation. Le simulacre est produit et est détaché de son producteur, même si celui-ci se met en lui (parce que le simulacre explicite ce qu'il représente, il est donc un renversement de ce qui est représenté ; la simulation au contraire implicite toujours un peu plus, jusqu'à ce que tout soit parfaitement implicité : on n'en peut plus sortir, comme dans ce film avec Jim Carrey, ou la France policière sous l'impulsion de Sarkozy). En politique, on est très loin d'atteindre ceci, et sans doute d'autant plus que l'on reste dans la politique de masse ; à moins qu'un dirigeant vienne nous faire un simulacre d'Etat ? Mais lequel aura le courage de ne pas tenir son rôle, et de le tenir trop bien en plus de ça ? (Et qui pourrait cacher un Père Ubu...)

[Remarque : créer, c'est faire du simulacre. Pas d'autre moyen. Le simulacre est création. A quoi sert la simulation ? A être renversée. Et les autres simulacres ? Inspiration, répétition.]

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La simulation prend sa source dans la représentation. Représentation des choses, représentation de nos vues, représentation de nos idées. Représentations de représentations, pourrait-on dire.

Le simulacre prend sa source dans la représentation de soi. Une représentation de soi qui est compréhension de soi. Non pas une représentation de représentation, mais un retour sur soi, comme un rabattement.

Dans la simulation on redouble une représentation par sa représentation. Dans le simulacre on redouble du réel, de la présentation.

Par exemple je fais des actes manqués, plusieurs autour d'une même action. Je suis allé quelque part, et je m'aperçois ensuite des signes qui ont probablement fait que je suis allé là. Simulation si je perçois et représente le système interprétant ces signes, système supposé par moi et qui est déjà représentation (de la même manière que certaines personnes regardent le sens de leurs rêves dans des dictionnaires à ce sujet, et tissent -- ou plutôt projettent -- ensuite leur interprétation suivant ce qu'elles y lisent). Simulacre si je vois que le sujet n'est pas ce système mais moi et le lieu où je suis allé. C'est l'exemple qui permet de comprendre la règle, mais par là, d'une certaine manière la réfute, ie en tant que règle, en tant que loi.

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Ville invivable : c'est terriblement faux et ça se veut pour vrai...

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Celui qui "vit dans le virtuel" ne sait plus ce qu'il y recherche.


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