mercredi, février 27, 2008

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mardi, février 26, 2008

La cohérence et l'absence de critique : au fondement de l'engagement indifférent

Si les Eichmann ne se trouvent peut-être pas exactement parmi les journalistes et autres "penseurs", ceux-ci peuvent néanmoins être les agents de "banalité du mal" que diagnostiqua Arendt, tiraillée dans une position journalistique entre la perspective "scientifique" (rare sur ce sujet, cf. Tillion qui revint complètement sur cette perspective au bout de trois éditions de son Ravensbrück) et la perspective morale (laquelle, considérant très évidemment l'extermination des juifs, notamment, étant justement ce qui empêche une réappropriation de la thèse d'Arendt).

Je ne veux pas dire que l'élection de Sarkozy est le préalable à un mal quelconque, et banal de surcroît, mais qu'Eichmann me semble obéir à une logique plus profonde que celle du travailleur indifférent que diagnostiqua Arendt.

Si la "logique" de l'indifférence se montra à jour par Eichmann (ce qui n'est pas forcément le désoeuvrement), ce n'est que bien plus tard, semble-t-il, qu'on peut observer une "logique" de l'engagement fondé sur l'indifférence. L'épisode Sarkozy, en France, est avant tout vecteur de ceci, et un certain Marc Weitzmann, ancien journaliste aux Inrockuptibles, le met en relief à ses dépends, comme s'il souhaitait être à la page, en bon inrock, sauf que là il est complètement dépassé, loin du mec surfant sur la mode en toute facilité (oui, pour moi, les Inrock et ce magazine qui lui succède quelque peu et dont j'ai oublié le nom sont à mettre dans le même panier).

Weitzmann, dans une vidéo diffusée sur Rue89, est on ne peut plus clair, cependant que l'article raconte le "non-enthousiasme" de son engagement en faveur de Sarkozy pendant la campagne : "Je pense que Nicolas Sarkozy était le seul homme politique pendant la campagne à avoir une vision cohérente des choses, et à pouvoir... à les exprimer clairement". Et un peu plus tard : "Et j'aurais trouvé invraisemblable que la gauche soit élue dans l'état où elle était. Franchement." Cette position symptômatique est d'autant plus intéressante que Weitzmann non seulement ne semble pas avoir le moindre recul sur ses propos, mais en plus affirme qu'il referait la même chose si cela venait à se reproduire.

Est-ce que la question fondamentale est celle du mal, comme le suppose (et on le comprend) Arendt (Tillion justement sur Ravensbrück (première édition) mettait l'accent sur la banalité, qui à elle seule, du reste, peut permettre de fonder une toute perspective que celle basée sur la morale ; ce que lui reprocha Vidal-Naquet, et ce tellement que deux éditions plus tard l'ouvrage n'était plus du tout le même) ? Ces quelques lignes montrent que pas du tout, et, qu'il y ait indifférence ou non, d'ailleurs, la principale question est celle de la cohérence, liée à un quelconque pouvoir : celui d'exister (d'habiter), celui d'exprimer cette "cohérence".

Arendt emmenait la question du mal bien loin de Kant, pour qui il était la subordination de la raison aux passions. Arendt montre que toute l'entreprise nazie est extrêmement raisonnable, justement. Et à tel point qu'on en jurerait que c'est par la raison, qu'avait précisément indiqué le philosophe comme opposition au mal, que celui-ci s'infiltre et s'impose. Pour ma part, dès que je pense au mal, je ne l'imagine d'abord qu'en terme de langage : comme se situant au-delà ou en-deçà du langage ; soit une perspective kantienne : s'il est dicible, ce n'est déjà plus le mot, la raison étant langage.

Ce que montre Arendt, mais qui est un truisme dans les sciences humaines, c'est que le mal n'est pas donné ni dans le même langage ni dans le même cadre représentationnel : Eichmann, positivement, ne tuait pas des juifs, il programmait des trains entre un point A et un point B, et ce n'est même pas du double langage. Cependant Arendt ne permet pas de montrer que l'interprétation qu'elle fait et peut faire découle du pouvoir qui la soutient, tellement dominant qu'elle peut se passer d'identifier clairement le mal : est-ce tuer ? est-ce tuer des juifs ? est-ce disposer autoritairement de personnes ? est-ce programmer des trains ? est-ce obéir à une "cohérence" sans enthousiasme ? Plus avant, l'emploi de l'universel "le mal" relève davantage de l'effet d'annonce qu'autre chose, à l'heure justement où les universaux (surtout en philosophie, mais elle semble assister au procès plutôt dans la peau d'une journaliste) passent à la trappe.

Le mal ne se laisse pas saisir positivement, il est défini collectivement. Et quoi de plus facile, face à un monstre incarné supposé, que de s'accorder, tous moins lui, sur le mal ? Comme tous ceux que l'on qualifie de "monstre", le jugement est rendu d'avance, et c'est pour cela que l'observation d'Arendt fait évènement, elle qui est la première surprise à ne voir là qu'un "homme moyen".

Sans vouloir faire de liens rapides et sans fondement, Weitzmann se justifie de sa position en ne se disant pas "intellectuel", ce n'est pas sa "profession" (quand on connaît l'histoire de cette figure en France, le terme peut faire rire ou atterrer, au choix... mais il faut dire qu'il se réfère à Glücksmann et Brückner) : dans le champ de la prise de position publique et justifiée, il se classe donc comme homme moyen...

La question du mal en soit n'est donc pas fondamentale. La question primordiale est plutôt celle de la "cohérence" de quelque chose à un moment donné, et le basculement dans le non-être de ce qui n'en a pas. Est-elle déterminée collectivement, cette "cohérence" qui peut engranger les suffrages d'un engagement indifférent ? Pas comme le mal, semble-t-il, mais comme l'est un paradigme (cf. Kuhn, Foucault).

Les questions que l'on peut se poser sont : de quoi est-elle constituée, cette "cohérence" ? qu'est-elle, au juste ? et sur quoi repose-t-elle ? sur quoi, aussi, fait-elle croire/penser qu'elle repose ? que promet-elle, autrement dit, et sur la base de quoi (Weitzmann répond à cette dernière question : sur la base du "libéralisme", et il justifie son propos en disant que la gauche ne l'a toujours pas intégré, plus de vingt ans après une politique d'austérité menée par le gouvernement Mauroy n'est-ce pas -- ceci dit si l'on veut entrer dans le jeu des justifications qui ne tiennent pas debout parce que l'objet est ailleurs, que celui-ci n'est que subjectif, il n'est qu'un signe) ?

La question de la "cohérence" est fondamentale, mais d'autres le sont également, car si elle permet d'éclairer l'engagement indifférent, explique-t-elle pour autant la participation à un mal quelconque ? Cette dernière n'est-elle pas toujours participation à un dispositif [nécessairement] collectif, forcément "banale" et articulée sur son seul processus et/ou le signifiant qui justifie subjectivement ce dispositif (le rendant désirable) ? Ne peut-elle pas se comprendre, sur le revers, comme non conception cohérente des effets et autres conséquences du dispositif (comme, pour les OGM, et en fonction d'une pression presque inconcevable de Monsanto -- articles à lire sur le même site, et notamment des témoignages de scientifiques --, on ne veut tout simplement pas savoir leurs effets) ?

En particulier la "cohérence" de Sarkozy, si elle relève déjà beaucoup de l'image, se donne surtout comme promesse. En envisager des effets négatifs donne comme réponse des sarkozystes un réajustement de l'image, du phantasme. Toute cette "cohérence" dans le domaine du "si...", et si cela n'est pas très évident quand on rêve, puisque que le "si..." est constitutif du rêve, il apparaît quand on se met à "critiquer", soit à envisager positivement le revers et/ou les effets concrets d'un dispositif quelconque. Et "critiquer", dans cette acception très générale (pour dire non spécifiquement hégélienne), est ce qui est le plus combattu par le sarkozysme (mais dire du mal, oui, cela est même souhaité).

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lundi, février 25, 2008

Livre de la semaine


François Jost, Le culte du banal, De Duchamp à la télé-réalité, Paris, CNRS Editions, 2007.



Bouquin de François Jost, chercheur à la Sorbonne, spécialiste de la télévision, et anciennement ami de Robbe-Grillet. Jost nous raconte comment s'est construit le banal, de Marcel Duchamp à la télé-réalité (singulièrement Loft Story). Terminé juste après les dernières présidentielles, il en profite pour montrer comment Sarkozy s'est approprié le rôle que la télévision s'est donnée à elle-même...

Une histoire du banal ou l'herméneutique d'un culte (j'avais hésité à le prendre en raison de sa couverture et son titre aguicheurs, mais finalement c'est une très bonne pioche), ce livre est à rapprocher des analyses proposés par Yves Michaud dans L'art à l'état gazeux par exemple.

Disponible au Bazar.

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Livre du jour


Hiroki Azuma, Génération Otaku, Les enfants de la postmodernité, Paris, Hachette Littératures, coll. "Haute Tension", 13 février 2008, préface de Michel Maffesoli.

Description par japonline.com : "Dans cet ouvrage d'une grande limpidité, Azuma propose une analyse du phénomène otaku qu'il présente comme la première culture postmoderne. Dans nos sociétés où la perte de repères est patente, nombre de jeunes se plongent dans l'univers du manga, de l'anime et du jeu vidéo pour réinventer un monde rassurant à l'intérieur duquel les personnages qu'ils côtoient sont familiers et leur permet de recréer un espace bien plus stable que le monde réel."

Vous pouvez vous le procurer au Bazar.

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