lundi, octobre 30, 2006

La représentation américaine

Les américains sont très forts pour mettre en représentation. A croire que c’est une « faculté innée » de ce peuple…

Ils ont produit toute une imagerie culturelle, à travers le cinéma et le dessin, puis les jeux vidéo, et aussi dans les sciences. A chaque fois il s’agit de représenter la réalité, et en même temps c’est une représentation qui n’est pas exactement la réalité. Un double du réel que l’on sait être un double.

Il y a à la fois de la description et de l’analyse, de l’interprétation, mais une interprétation intégrée à la représentation, qui donc n’interprète pas mais recèle l’interprétation : la représentation est une interprétation et non un effort d’interprétation. Ceci sous couvert de description, de ne faire qu’effleurer les choses. Au point que l’on ne sache pas très bien si la représentation américaine parle du réel ou parle pour l’imaginaire. Elle est une tentative de connexion du réel et de l’imaginaire, la rencontre des deux. Elle témoigne du réel et s’adresse à l’imaginaire.

Le réel est donc connaissable : il suffit de le représenter ; conception naïve, « évidente », reposant sur une grande foi dans les sens du regardeur, limités à la vue. L’imaginaire, quant à lui, a pour fonction d’imaginer le monde : il emmène ce qui est vu dans une zone où habitent des signes et des structures. De sorte que c’est l’imaginaire qui voit et que ce que voit l’imaginaire, c’est le réel.

Ce nœud nous est maintenant connu, mais il nous est étranger dans la mesure où là où nous avons l’habitude de porter l’interrogation, la représentation américaine pose des présupposés, des évidences, afin de mieux passer à l’action de représenter. Les questions de cette représentation portent ainsi beaucoup moins sur le représenter que sur le représenté : quoi représenter, beaucoup plus que comment. Le représenter est conçu comme un acte naturel, et c’est pourquoi il va être fait appel aux sciences du cerveau pour mettre ceci en lumière. De notre côté, vieux européens, le représenter est plutôt considéré comme un construit, comme un effort, quelque chose qui relève moins de l’évidence et du naturel que de l’art et de la philosophie.

En sociologie, Erwin Goffman et Howard Becker sont significatifs de cette représentation. En particulier pour la grammaire interactionnelle du premier et pour la notion de monde du second.

La méthode semble assez simple, au premier abord. Il s’agit de poser un cadre comprenant un certain nombre d’acteurs sociaux, puis, en accordant, comme on dit « en droit », autant de poids à chaque acteur, de représenter ce cadre. Chez Goffman, le cadre va être celui des interactions ; chez Becker, un monde artistique quelconque. Le cadre posé apparaît comme évident, et il semble que remettre en cause l’égalité de droit des acteurs (par exemple en faisant apparaître des relations de domination) puisse être comprise uniquement comme idéologique ; concernant les relations de domination, il sera plutôt montré comment des ‘‘dominés’’ (du point de vue de l’organigramme institutionnel, par exemple, comme dans l’hôpital analysé par Goffman) vont jouer pour sortir de cette domination (les infirmières, par exemple, vont tenter de s’approprier des tâches qui sont d’ordinaire celles du médecin, lui-même, par ailleurs, leur délégant des tâches qu’il juge trop viles).

C’est une manière de fonctionnalisme, si tant est que celui-ci a mis le doigt, au moins comme une manie scientifique de considérer les choses, sur l’harmonie d’un cadre donné. Il n’y a pas là de fonctions, mais des interactions, par exemple, et dans les mondes de l’art de Becker, des rôles, des fonctions économiques, et des masques relatifs à chaque fonction.

Cette représentation tient à la fois de l’ingénu et du génie. Descente vers l’évidence, si beaucoup voient évidemment la même chose, si ce qui soutient l’évidence est partagé par beaucoup, l’auteur d’une telle représentation sera considéré comme un ‘‘génie’’. C’est ce que l’on peut observer ailleurs, dans le domaine des jeux vidéo, par le nombre record de ventes du jeu Les Sims, créé par Will Wright (qui travaille à un nouveau jeu, simulation de l’évolution, Spore http://www.automatesintelligents.com/art/2006/mar/spore.html).

Si le scientifique doit faire plus cas de la vue, le cinéaste, le dessinateur de comics ou le créateur de jeux vidéo se tiennent beaucoup plus dans l’imaginaire, mais la structure est la même. La différence entre les deux repose sur le cadre. Le succès sera croissant à mesure que le cadre sera bien défini, mais, au moins dans le cas des productions imaginaires, il faut, pour que le succès soit complet, suppléer, une fois le cadre défini, une conception imaginaire (mais réaliste, donc une certaine modalité) du cadre à une conception ‘‘scientifique’’.

La représentation américaine peut être appelée simulation. Il s’agit d’avoir la chose même, mais sous les yeux, donc fatalement représentée. La représentation est ici capture du réel, à des fins au moins imaginaires (ou scientifiques, ce qui revient au même), voire à des fins d’action, pour le pire et pour le meilleur. Néanmoins, la représentation étant donnée comme un but en soi, l’agir est toujours laissé dans l’ombre, ou sous-estimé, considéré comme un attribut secondaire (ainsi de tout ce qui concerne les applications des sciences du cerveau). De plus, la représentation est amenée sous l’égide du merveilleux, une brillance qui est celle de son exactitude, l’exactitude de la conjonction réel/imaginaire, une exactitude qui est toujours précisément datée puisque lorsque surgit une nouvelle représentation sur le même sujet, la précédente perd toute brillance et n’apparaît plus que comme une représentation, et une mauvaise représentation, dont en plus on repère les ficelles.

Ceux qui se laissent abuser par cette représentation, tout autant que ceux qui les créent, s’enferment ainsi dans des logiques qui les portent et les transportent, sans voir où elles les mènent, eux, le réel, et les modifications de celui-ci. On peut à juste titre critiquer les anciennes politiques communistes de « révolution culturelle » et autres « plans quinquennaux », mais qui peut assurer que l’on n’a pas ici quelque chose du même genre ?


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Ce blog est la continuation du blog http://sergvolant.over-blog.com

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