jeudi, septembre 11, 2008

Systèmes pervers délirer tous

Un système pervers (exemple : sfr pour les clients, infomobile pour les TO) ouvre plusieurs possibilités d'études :

1) comprendre et analyser la perversion du système : double en représentation du système.

2) comprendre et analyser les tactiques et réponses des personnes se trouvant dans le système, souvent tout aussi perverses.

3) analyser le système dans lequel s'inscrit le système et comprendre plus largement le système pervers, au-delà de la perversion, dans une cohérence retrouvée, afin de retrouver une cohérence, une humanité, un respect.

Mais il faut dire que les systèmes pervers ne donnent pas tant envie de les analyser que de les délirer. La réponse donnée alors, une représentation également, et qui recèle tout autant une analyse et une compréhension, est comparable aux deux premiers types d'études possibles, en ce qu'elle se contente elle aussi de l'observable, du donné, sans rechercher un au-delà permettant de dépasser la perversion ; et la perversion est dépassée, toutefois, par le délire même, qui résout toutes les perversions en les explicitant dans le mouvement même de réalisation du système pervers ; par là les désamorce et transforme la perversion en folie et le mal-être en joie. Le délire accepte le système, c'est un acte d'amour, qui transgresse par son amour même le système, lequel demande à son égard peur et crainte, haine et combat. Alors, plutôt que de rechercher un au-delà, un plus-contenant (comme le fait le troisième type d’études), qui résolve le système en en bâtissant un autre plus cohérent, et en le refondant de même, le système pervers est transformé en un autre système, vivable, la cohérence étant trouvée au coeur même du système. Déliré, il devient vivable, en un acte de copulation qui lui fait perdre sa maîtrise de ses sujets, lesquels en retour s'adaptent à lui. Etiré, explicité, disloqué, dégonflé, les structures hyper-rigides sont amollies et modelées autrement, comme dispositif accueillant des humains (étant entendu qu'aucune utopie à l'égard de ces dispositifs n'est recevable : il n'existe pas d'idéal en leur matière, tout idéal étant une projection phantasmatique en dehors de tout dispositif).

Et en dernier ressort, on peut également procéder à une étude d’un tel délire effectif, et non pas seulement représentationnel, phantasmatique, artistique… S’il existe…

mercredi, septembre 03, 2008

Deux écouteurs et un micro, ou cher client bonjour, un humain vous écoute

C’est la rentrée, et c’est l’occasion pour moi de vous emmener en promenade dans les coulisses extrêmement rationnelles d’un monde économique. Il y a les cahiers, les nouvelles pompes, les nouvelles activités, et pour certains, l’idée très saugrenue d’un nouveau forfait de téléphone.

Ces nouveaux forfaits vous font autant baver que n’importe quel cahier neuf et brillant, tous ces objets neufs et communs voués à intégrer votre quotidienneté. Les ouvriers de la voirie, à peine revenus de Marbella, retrouvent la mer devant leur supermarché.

Après, bien sûr, quand les cahiers seront froissés et constellés de formules mathématiques aussi ineptes qu’à apprendre par cœur, quand les souliers auront été relégués au fond d’un placard avant de finir à Emmaüs en vous demandant comment vous avez pu porter ça, il sera toujours temps d’appeler le service client pour vous plaindre localement et sur des objets précis de cette société qui aime à vous faire désirer le vide.

Et cet appel frustré de ceux qui découvrent l’ogre derrière le père Noël, entre colère et incompréhension, dernier espoir et cri de guerre, au creux d’une fatigue bien pesante, et bien c’est au service client que vous allez le faire. Et si l’Etat c’est Louis XIV, le roi soleil, je dois dire qu’*** c’est mes collègues et moi, anus solaires.

Représentants d’une entreprise championne dans l’art du vide à prix exorbitant, on doit bien reconnaître que les logiques économiques de ladite entreprise laissent franchement à désirer.

Ou bien alors les choses sont simples. Voyez-vous, les ténors du domaine se sont entendus pour pratiques à peu près les offres à peu près aux mêmes tarifs ; à part peut-être de vagues détails d’agencement de leurs prestations, rien ne les distingue. A part, nous a-t-on répété, leur… service client !

Ce n’est pas pour rien que ******** fait de la pub pour rappeler qu’ils sont encore les number one. Oui mais voilà : si on nous le martèle, à nous, ce n’est pour rien nous plus, c’est juste pour que nous nous sentions investis d’une mission divine dans la croisade de la conquête des âmes superficielles, avides, confiantes et fascinées que vous êtes.

Ces deux éléments en balance laissent quand même voir que le service client est un argument de vente. Et peut-être bien même qu’il justifierait les pires âneries, puisque, après tout, il y a les gentils gogos du service client pour rattraper ces bourdes.

Les âneries typiques, c’est : votre date de fin de contrat approche, vous avez déjà décidé d’aller voir ailleurs, ou de demander une petite allonge pour avoir un bon appareil pour remplacer le votre qui se fait un peu vieux, auquel vous vous êtes trop habitué, et puis une personne vous propose rapidement une petite heure en plus chaque mois pendant vingt-quatre mois. Vous refusez, ou vous dites ben si ça peut vous faire plaisir, ou vous voulez réfléchir, ou vous dites rien — bref : quoi que vous disiez —, et vous voilà obligés de payer la facture encore pendant deux ans sans autre compensation qu’une heure par mois, ou un moitié prix le samedi matin alors que vous avez déjà les appels gratuits le week-end, ou 500 sms alors qu’ils sont illimités.

Vous voulez vous plaindre, vous appelez votre merveilleux service client, et on vous dit qu’on ne peut rien faire et que vous êtes dans la merde. Fallait prier pour ne pas recevoir cet appel, tant pis pour vous. Pardon : nous créons un dossier pour l’envoyer au service concerné (si vous ne sentez les échardes dans votre bouche, je vous assure que nous, nous les sentons, mais au fond on s’en fout), auquel il sera répondu peut-être dix jours plus tard que tout est déjà mis en place et qu’on ne peut rien faire. Et c’est d’ailleurs la réponse qu’on vous donnera quand vous rappellerez deux semaines plus tard, étonnés de ne pas avoir de nouvelles de votre meilleur ami (équivalent de Ronald Mc Donald’s, vous voyez ? si si, vous savez, le clown, dans « ça » de Stephen King ; bon, d’accord, dans l’entreprise il n’est personnifié, c’est l’entreprise elle-même, mais passons) ; après quoi on recréera un dossier pour demander quelque chose en compensation, et je n’ai jamais entendu que quelque chose ait abouti en ce sens.

En fait la stratégie du bon client est celle-ci : un homo œconomicus dans toute sa splendeur qui connaît toutes les astuces. L’une d’elle m’a été expliquée par l’un d’eux aujourd’hui : votre contrat arrive à terme ; seulement, ce super forfait d’il y a dix ans — vous savez, celui qui était parfois racheté 300 mille francs au détenteur ? —, il ne sert plus à rien, et vous n’avez pas assez de points de fidélité pour remplacer votre Sagem My_first_mobile. Comment faire pour conserver votre numéro, tout en ayant un super portable et l’un des meilleurs forfaits du moment ? C’est tout simple : vous résiliez, vous portez votre numéro auprès d’un concurrent sur un forfait sans engagement, puis vous revenez au bout de deux semaines sur un nouveau contrat. Les astuces les plus simples et les plus connues le sont trop pour être dites ici, comme celle de faire le méchant et de vouloir résilier, en attendant en minaudant des offres alléchantes pour rester quelques années de plus, ce dont vous aviez bien l’intention.

Le contexte cognitif de l’entreprise est donc celui-ci : les clients sont des loups qui recherchent leur satisfaction maximum en faisant jouer la concurrence ou les éléments internes de la boîte (entre la résiliation et les points de fidélité, par exemple). Il ne sert à rien d’être gentils avec eux, au mieux ce ne sont que des moutons à égorger chaque jour un petit peu plus. Mais ils sont menteurs, également, feinteurs, et l’entreprise l’est tout autant. Un contexte donc agonistique, mais aussi paranoïaque, craintif, lâche et tricker. Bref, la joie. L’image du client, elle, balance entre la bonne poire et le dangereux alter ego.

Le modèle exactement contraire à ce qui se passe est donné par l’idéologie proclamée par la boîte. Etrange, n’est-ce pas ? C’est pourtant le cas. Il s’agirait de mettre le relationnel au centre du dispositif ; de fidéliser les clients en amont et non en aval ; et d’arrêter de faire des conneries grossières. En un mot, respecter les clients, sans revenir à l’âge du client roi (parce que, hormis peut-être au service VIP, ce concept est hors d’âge) : ne pas en avoir peur, ne pas les prendre pour des crétins, ne pas se foutre de leur gueule. Ce serait une révolution.

Pour cela, il faudrait sortir d’une logique du chiffre et du dispositif édictif, puisque le but est de faire des appels de moins de 4 minutes 45, avec moins de 45 secondes entre chaque appel et une moyenne de plus de 9 appels par heure. Il faut être à l’écoute du client ; ceci signifie qu’il faut écouter sa demande et la reformuler dans les termes de l’entreprise, ce qui induit déjà un traitement possible : on formate tout à l’usage de nos petites cases ; petit exemple : « j’aimerais manger un truc plus gros que ma bouche et qui dégouline de partout en ayant seulement un goût de mayonnaise » — réponse : « d’accord, vous désirez un Big Mac, nous allons voir cela ensemble ». Il faut également personnaliser l’appel ; ça c’est pour le côté humain (l’autre face du côté humain, c’est notre identité : le service client n’est pas délocalisé en Tunisie, au Sénégal ou en Roumanie, ce sont les tunisiens, les sénégalais et les roumains qui viennent en France : le profil type, hormis l’étudiant en colocation sans bourse, minoritaire, c’est le banlieusard à bac plus deux — qui, lui, joue sa carrière [ne pas rire]) ; c’est le plus facile : il suffit de dire une fois le nom du client au cours de l’appel. On reste poli et courtois, et je crois que nous avons fait le tour du relationnel. Enfin, sauf une dernière chose : il faut faire en sorte que le client n’ait qu’une demande, et facilement résolvable, pour faire au plus rapide. Notre rôle est plus dur qu’à Mc Do : on vend les sandwichs, on les fabrique, on cuit les frites, on enregistre les réclamations et on y répond.

Moi cela m’est égal, les clients sont mes amis, je suis là pour les aider. Alors je les écoute, tentant de saisir l’informulé dans la limite des réponses que je peux apporter (je laisse des blancs souriants quand ils font des remarques sur l’ineptie du produit). Ils n’ont pas seulement un nom : ils ont aussi un anniversaire, un joli nom, ou accent (d’ailleurs parfois je prends le même ; sauf le corse, je préfère l’écouter), ou voix, on partage des potins et des combines, des rires et des considérations métaphysiques. La plupart du temps, ils ne savent pas grand-chose ; quand ils veulent feinter, c’est tout juste s’ils ne le disent pas en même temps qu’ils le font ; il y a vraiment la place d’avoir une relation partenariale plus poussée que ça.

Pour fidéliser les clients, cela n’est pas bien dur. Il suffit de ne pas attendre du client qu’il soit à bout et envisage de se casser, demandant à résilier, pour seulement là envisager, dans la cellule poétiquement baptisée rétention (l’image évoque la prison à souhait, mais celle de qui… car c’est en enfermant qu’on s’enferme soi-même…), quelques propositions vaguement intéressantes. L’ancienneté, en particulier, est bien mal récompensée. Et les offres, plutôt que de faire partie du folklore, des mythes et des rumeurs, devraient être faites à l’avance, ce qui donnerait davantage confiance.

Enfin, respecter la volonté du client, ce n’est quand même pas dur.

Mais il est vrai que ce n’est pas comme ça qu’on se donne une image d’entreprise draguant les jeunes aussi stupides que technophiles.

De mon côté je m’en fous pas mal. J’aime bien quand les clients repartent avec le sourire. Sauf certains, forcément, et pas seulement ceux qui me gueulent dessus alors qu’on ne se connaît même pas.

Je m’en fous pas mal, surtout que les conditions de travail, sans être mauvaises pour un job d’été, un job tout court, dans la série de la plonge dans les cantoches, de la manut’ pour Zingaro ou du ménage d’un Lidl, sont quand même un peu pourries. Un salaire de misère, des horaires flexibles sans qu’on ne puisse rien y faire, des objectifs pas irréalisables mais draconiens quand même, ni aucun intérêt dans la boîte ni de perspectives de postes ou d’augmentations de salaires, aucun poids dans le fonctionnement du travail, on doit obéir sans cesse aux protocoles établis par les aveugles qui paranoïent dans leurs bureaux. Aujourd’hui, le taux d’absentéisme était de 45%. Former une nouvelle vague de travailleurs c’est 50 heures fois 16 en comptant le formateur (7200 euros simplement en salaire net touché par eux) ; il faut un mois et demi à deux mois pour être parfaitement opérationnel ; 40 jours après notre entrée dans les lieux, nous ne sommes plus qu’un tiers, et confidence de formatrice : c’est un très bon score.

Mais c’est vrai que plus j’apprends à draguer les clients, moins j’ai envie, sorti de là, de draguer qui que ce soit.

Et les « mots noirs » que j’ai employé ces jours-ci ne sont pas répertoriés. J’ai dit les « pas de problème » et autres « ne vous inquiétez pas », et puis surtout des merde, putain, fais chier, il m’emmerde ce truc, des lectures à voix hautes des fiches de renseignements et des manipulations que je fais (2, F5, 15, 3, 450€ H.T. — non, c’est même pas vrai [ceci permet de vous donner une telle somme]).

Dans un monde vraiment humain, les dispositifs nous entourant seraient tellement rigides et porteurs en plus d’automatismes tellement poussés, qu’il serait invivable. En même temps, s’il l’était, on pourrait penser à autre chose.


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