samedi, mai 05, 2007

La télécratie

Il n'y a pas que les machines à voter qui instaurent, sur les ruines de la démocratie représentative, une télécratie.

La démocratie représentative, c'est daté, et c'est un peu la même chose que la télécratie, mais pas à la même échelle, ce qui change beaucoup de choses.

Les romans du 19e nous ont habitué, je crois, aux scènes de démocratie participative. Chacun vote suivant son rôle local, suivant sa communauté, sa classe sociale. On va voter en groupe, le vote est une fête, le candidat porté en triomphe par ses électeurs, jusqu'au bureau de vote. Elections locales, certes, mais la représentation fonctionne, via les élus, sur tout le territoire. La représentation, c'est une question de communautés, d'intérêts (notion qui ne peut être que communautaire, avance Sloterdijk (Sphères 3, p. 515). Celui qui nous représente fait partie de notre communauté, ou du moins regarde avec nous, et non nous regarde. Marx notait que "Bonaparte défendait avec sa dictature populaire une classe et ses besoins encore insuffisamment articulés, "la classe la plus nombreuse de la société française, à savoir les paysans parcellaires" (Marx, 18 brumaire)" (Sloterdijk, 511-12). "La propriété parcellaire a transformé la masse de la nation française en troglodytes. Seize millions de paysans (femmes et enfants compris) habitent dans des cavernes dont un grand nombre ne possède qu'une seule ouverture, une petite partie n'en a que deux, et la partie la plus favorisée en a seulement trois. Or les fenêtres sont à une maison ce que les cinq sens sont à la tête" (Marx ; Sloterdijk, 513). Le Corbusier parlera lui d'aération psychique. A l'époque, en France, il y a une taxe sur les fenêtres...

Déjà un début de télécratie, ce Bonaparte. Maintenant ça ne fonctionne pas autrement, nous ne sommes pas moins troglodytes. Le trompe l'oeil italien l'emporte sur le rituel byzantin. Nous sommes détachés de tout cela, avec peut-être des "besoins encore insuffisamment articulés". Il y a tellement de communautés, et tellement de solitaires, que la place publique est désertée, au profit des consommateurs anonymes, et des règles du commerce. Le topos commercial vaut comme lieu public, lieu commun (les citoyens développent certes des stratégies de consommateurs, mais le marché est pauvre, on est encore loin du client roi ; on est plus proche des étals soviétiques, où par moins quarante on a le choix entre un maillot de bain bleu et des tongs grises). De là pourtant vont se créer les lois.

Commerçants ou consommateurs, ou encore publicitaires (militants), la distribution des rôles n'est pas trop compliquée. On peut bien aller voter comme on fait la queue, le long des boulevards glauques, au vidéo club en distributeur automatique, seul point éclairé, au néon, de la rue automobile, en ayant peur de son voisin, même s'il regarde les mêmes films que nous.


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