jeudi, mai 29, 2008

Hard discount sur le QI des oiseaux

Drôle ce reportage d’Envoyé spécial sur le hard discount. Pour ne connaître qu’un Lidl, et plus depuis quelques heures qu’ils ne veulent plus me voir, c’est un peu faux leur histoire, et place, comme souvent, les journalistes en producteurs d’images sociales, médiateurs de toute une société supposée ils dessinent sur l’écran qui se tient en marge de celle-ci, inévitable comme un monopole des représentations autorisées.

Leur idée de placer le hard discount dans une hiérarchie avec les grands magasins, les grandes marques qu’ils distribuent et les sous-marques, n’est pas très pertinente et ne fait que répéter comme une nouveauté, mais ce n’est pas la première fois que j’en entends parler ces temps-ci, tout ce qui a été dit depuis le boom de ces magasins il y a quelques années.

Deux points sont mal traités, vraiment. Ils n’ont quasiment pas fait référence au rapport à l’image, et leur présentation du travail dans ces enseignes comme d’une sorte de toyotisme intégral ne fait que renvoyer aux fantasmes négatifs qui collent au flux tendu.

Ils ont bien dit qu’il n’y avait aucune recherche marketing dans les emballages. Et ils ont aussi mentionné, mais de telle manière que ça avait l’air tout à fait secondaire, qu’auprès de palais rompus à la gastronomie les produits hard discount laissent complètement indifférents (à remarquer la conclusion d’un des testeurs : aucun produit de supermarché n’a été déclaré bon). L’ambition de ces chaînes est semble-t-il de produire des purs produits. Et ce tant au niveau de l’image qu’au niveau du produit lui-même ; et l’ensemble, le terme de produit le montre assez déjà, comme une série de variations sur le terme de la marchandise, à laquelle renvoient d’autres objets comme le carton et la palette (et, non loin mais non présent sinon dans la standardisation des cartons et palettes, le container). Simulation d’objets au sens large devenus produits à travers un traitement de l’image, tant sur le plan marketing que sur le plan gustatif, si encore le terme n’est pas trop exotique, cela pose tout simplement la question de savoir ce que sont, par exemple, des carottes râpées. Et ce d’autant plus dans un pays où la langue est encore commandée par de vieux hommes en armes foutus de déclamer sans rougir, pomme Granny Smith et pomme Ariane®, qu’un chat est un chat, tapis roulant gris. C’est certes très utile dans un processus de standardisation et d’universalisation, ce qui par ailleurs renvoie étrangement à cette notion d’écran géant pour toute la société supposée…, mais il n’est pas exactement établi que ces méga-dispositifs de prise en charge de la vie soient ni nécessaires (encore que), ni surtout souhaitables, en tous les cas en leur état actuel.

Et puis leur traitement du travail, ça ne va pas du tout. Ils disent 4 employés pour 300 mètres carrés, mais ils se relaient et sont souvent plus que ça. Sans parler de la cigarette dans le magasin avant l’ouverture, en réserve quand les clients sont là. Sans parler du blabla qui prend un temps considérable dans le temps de travail des employées. Et des pauses. Et d’un stress très moyen qui le doit moins au travail qu’au mode de vie de chacune. Certes, je ne parle pas des caisses, un vrai travail d’esclave, mais à leur dire préférable au même travail dans une grande enseigne, et le salaire itou. Il n’y a pas forcément une hiérarchie bien obéissante, mais ils oublient de le dire, comme ils oublient de dire que l’humeur de chacun a une place dans le travail, et qu’il existe une mise en place de tactiques, certaines tolérées voire partagées par la hiérarchie immédiate, qui rendent le travail moins pénible, et, plus que le travail, des heures passées dans un endroit glauque à pousser des palettes, mettre des cartons pleins sur d’autres cartons pleins, casser des cartons vides, faire un travail de caisse, un endroit glauque, pas la couleur mais l’éclairage au néon et le sol très essentiellement sale comme s’il fallait coller à une pauvre esthétique du pauvre.

Après, je ne connais pas les autres enseignes, peut-être Lidl est-il une sorte de crème, de réalisation particulièrement significative, mais j’en doute un peu pour avoir seulement vu les courses de mon père à Ed.

Il y avait ensuite un reportage sur le QI, et je passerai celui sur la Birmanie, qui a bien sûr le plus intéressé la famille connaissant brièvement ce pays où il y a un os dans chaque morceau de viande, si ce n’est pour dire que des secours improvisés par le guide des journalistes a permis, enfin il était temps, de faire découvrir à des villageois reculés les joies des nouilles déshydratées en sachet, au poulet j’ai noté, sans recyclage mon dieu de l’emballage, et probablement pas de quoi faire chauffer de l’eau ça va pas être terrible avec les petits sachets d’épices, une famille, donc, devant un reportage sur le QI et dont le membre en possédant le plus gros est sans doute la chienne, ne serait-ce parce que si elle est souvent très humaine, nous sommes rarement canins, sauf à hurler à la lune et à chier hors de nos bases dans un marquage déterritorialisé de notre territoire.

Curieusement, il n’a jamais été question de la seule problématique intéressante, celle du dressage, plus précisément de la relation de confiance parents/enfants. Bien que les enfants dopés au QI paraissent pour ces parents comme ces aliments à qui ils ne sont que protéines, lipides, glucides, fer, vitamines et j’en passe, il semble que le but des parents soit de créer une relation de confiance avec leurs enfants fondée sur la peur et le désir ; ou comme le résume bien une gamine à l’air de momie ou de poupée d’élite parfaite, c’est selon, « je peux faire tout ce que je veux, à part psychologie, maman ne veut pas, mais du moment que je fais ce qui se fait de mieux il n’y a pas de problèmes » : on peut tout faire du moment que le choix se fasse dans l’ensemble maternellement choisi, et sa sœur d’ajouter avec d’autres mots qu’elles sont faites pour le travail, ce qui renvoie aux paroles d’un directeur d’école de surdoués, « que les surdoués servent leur pays », là où mon grand-père parle lui de « pour la France » à l’occasion du moins job, et de « aller bon pour le service » dès qu’il est question d’une telle mobilisation.

Il faudrait étudier, ce que le reportage montre un peu, les réceptions du QI, les bricolages que chacun fait avec et autour de lui, ce qui inclurait ce qui se rapprocherait le plus d’une étude du QI lui-même, son image à travers ces bricolages.

Sinon comme d’habitude personne ne dit ce qu’est être doué. J’ai demandé à mon frère et instantanément il m’a répondu que c’était maîtriser certaines capacités, aptitudes. Cela indique un modèle de compétences, dont on n’a pas forcément conscience, et surtout induit un relativisme à peu près total au sein des compétences, ce qui ouvre sur des utilisations/réceptions du QI extrêmement diverses, même si cet outil n’a peut-être pas encore été mobilisé par la Fédération Internationale des Glandeurs Eternels, tant le modèle des compétences repose sur l’idéal moderne de mobilisation.

Par ailleurs, aux images vues le mot bourgeois est sorti de ma bouche sans que je le fasse exprès, alors je l’ai ravalé parce qu’il n’a goût de rien et donne de bien mauvais crachats. Il y a cependant un idéal d’un être et d’un développement, fondé sur la réalité « bourgeoise », et ce par adaptation à un ensemble donné, mais ensuite c’est le régime de la différence et de l’exception qui prime : il ne s’agit pas de s’assurer que le prodige maison est bien normal, mais de savoir enfin que son enfant est bien anormal comme on l’a toujours pensé, qu’il est bien, sur le mode aisé, un possible membre de l’élite, et sur le mode populaire un monstre admirable, auquel les parents souhaitent toutefois de se fondre dans le moule.

En Birmanie pas d’oiseaux, mais des cadavres de tous âges dans les eaux du delta. Dans la réserve du magasin un moineau m’a frôlé l’épaule, effrayé peut-être par mon violent coup de balai ; j’ai mis toutes les cochonneries à la poubelle et demain, libre, j’irai peut-être photographier autre chose que des pigeons, comme cette mésange devant ma fenêtre l’autre jour, pour voir s’ils prennent la peine de ne pas s’écraser dans les vitres, l’une de ces vitres cachant l’image d’un écran plat qualifié par la publicité de « purobjet ».


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