jeudi, mars 26, 2009

Entre Randall Kennedy et Pap Ndiaye, une seule solution : fuir

    Conférence "Identité & minorité(s), La condition noire". Vila Gillet/Lyon 2, mercredi 25/03/09;

    Avec Randall Kennedy et Pap Ndiaye.


    Kennedy expose la distinction entre les courants pessimiste et optimiste quant à l'intégration des noirs dans la société américaine. D'un côté elle est considérée fondamentalement raciste, et plus loin inégalitaire, de l'autre elle est perçue comme pouvant s'élargir. C'est l'occasion pour Kennedy de parler de sa position idéologique : un optimisme prudent. Ce qui ne nous apprend rien des différents arguments, ni des diverses figures que les montages entre ces deux idéaux types donnent concrètement, tant ces deux positions sont caricaturées afin de mieux faire valoir l'option idéologique de Kennedy.


    Le propos de Ndiaye est idéologique, sans doute plus finement, en plus d'être ambigu. J'ai moins noté son propos que mes réactions à son sujet, tant m'apparaîtrait plus intéressante une analyse de son discours que son discours lui-même.


  1. L'homme-signe. On n'en sort pas : l'humain quantitatif au travers de stigmates (signes).
  2. Idéal progressiste : peint le pire et tente de l'améliorer. Ce qui s'opposerait à l'utopisme, qui décrirait le meilleur, soit théoriquement soit par quelques cas concrets, et tenterait d'en être à la hauteur ; seul l'utopisme permettrait de perdre les cadres d'interprétation de ce qu'il faut fuir, quand le progressisme tente de les aménager, y compris en se les réappropriant.
  3. Construction des USA comme l'idéal-type. On se demande le rapport avec la France. Cependant, et malgré tout ce qu'on nous raconte depuis qu'on est tout petit, Ndiaye passe son temps à sous entendre une analogie entre les USA et la France, décalquant ceux-ci sur celle-là sans trop se préoccuper, sinon de manière négative, de ce qui se passe en France (il enseigne en France, mais étudie les USA et prend là-bas toutes ses références et cadres théoriques).
  4. Peut-on réduire, assimiler, l'identité à la couleur de peau, tant dans une perspective sociologique, scientifique, que courante, idéologique ? Identité nationale, couleur de peau, origine : l'identité, la culture même (implicitement saisie à travers l'identité…), comprises à travers ces signes, ces stigmates. Une phrase m'interpelle : "dire qu'on est noir" : pourquoi le dire puisque ça se voit ? À l'inverse, c'est quoi "être noir" ? Quelle est cette création ? (L'identité collective est-elle une culture ?) A la fois Ndiaye construit cela, "être noir", et à la fois il affirme qu'il faut que la couleur de peau cesse d'être un marqueur social ; soit il est con, soit il ne se rend pas compte que ses cadres théoriques (l'école de Chicago) proviennent d'un contexte de forte différence sociale (Chicago était divisée en quartiers ethniques).
  5. Etrange même que des noirs parlent d'identité. Qu'y a-t-il de plus rétrograde que cette notion ?
  6. Il préfère la notion de minorité à celle de communauté, mais la différence est faible face à ce qui apparaît bien comme une sorte d'appel à une lutte identitaire, communautaire, même s'il s'en défendrait par son tour de passe passe, construisant "être noir" et souhaitant la fin des marqueurs sociaux par la couleur de peau.
  7. Il critique la France (les discours que l'on peut tenir d'ici) de cette manière : selon lui, ces discours souhaiterait éviter la domination des minorités qui prévaudrait aux USA. Il critique cela comme miroir repoussant. A croire qu'il ne vit même pas en France, vraiment. Pour lui, il ne saurait même pas y avoir de construction française, tout est en référence aux USA. Peut-être qu'à ne pas vouloir être français est-il devenu un bon petit américain, qui sait. Il critique aussi la France à l'aune du discours républicain, et autres schémas du même acabit où une grandeur commune recouvre et englobe les particularités, les différences.
  8. Ses petits tours de passe-passe théorique sur l'identité fine et l'identité épaisse (conception reprise à un américain -- non mais il est vraiment caricatural, cet homme, c'est tragique, un peu comme le réalisateur de la capture vidéo qui régulièrement cadrait des personnes noires dans le public) et identité choisie/ identité subie n'y feront vraiment rien.
  9. Il n'y a là rien qui ne remette en cause les cadres d'interprétation étasuniens. Et s'ils appartenaient fondamentalement aux distinctions, et donc dominations déjà, au moins dans l'imaginaire et/ou la subjectivité (racisme) ? Et pourquoi, étudiant et enseignant en France, 1) cherche-t-il à rabattre les USA sur la France, sans même s'en servir pour éclairer notre situation (il faudrait encore qu'il paraisse la connaître plutôt que sembler s'être réfugié dans le mythe américain), 2) n'aborde-t-il pas les USA avec des outils qui ne soient pas de leur contexte (français, par exemple, mais d'autres topos aussi bien) ?
  10. Je me suis demandé, accessoirement, s'il militait à l'UMP.
  11. Il faudrait écrire un texte sur la quotidienneté : "quand l'identité disparaît". Les marqueurs sociaux, c'est un peu comme la cigarette, il y en aura toujours (regardons les noirs qui arrivent à des postes de pouvoir en France, ils ont abandonnés une bonne partie des stigmates de ce qui fait un noir dans le regard d'un raciste tel qu'il se réfléchit dans leur discours, à ces noirs de pouvoir, sur les noirs…) ; et de même, ils s'oublient. Tout le problème de discours comme celui de Ndiaye, et cela renvoie en partie à son ambiguïté, c'est qu'au lieu de jouer la carte de l'oubli, c'est-à-dire faire passer autre chose au premier plan pour pouvoir oublier ces marqueurs sociaux, ils les marquent bien davantage, et préfère jouer la carte du conflit pour pouvoir les abolir (c'est pour ça que je le suppose de l'UMP, même si à l'époque de la décolonisation de telles pensées se posaient comme communistes, comme les khmers rouges, etc., c'est tout ce que cela m'évoque) : il élude le fait que ces marqueurs sont des signes dans le regard des acteurs, et que le conflit est auto justificateur puisqu'il renforce ces signes dans ces regards ; ce genre de geste, comme guidé par le ressentiment, ne supporterait pas de voir disparaître les signes qu'il combat, puisque porteurs seuls de lui et de son combat. Seul l'ancrage communautariste et la lutte pour la lutte, sans même les prétextes qui lui ont donné naissance, se présentent comme débouchés à un tel geste.

    Sorti de là avec le sentiment que les USA ont quelques décennies de retard, et que sous prétexte d'Obama (+ Sarkozy, ce qui n'est pas rien), la France risque de devoir les rejoindre dans la régression, en oubliant notre culture, nos modèles, nos sentiments, nos gestes. Quand les intellectuels sont en-deçà des faits, cela fait peur.

jeudi, mars 12, 2009

Art contemporain, ou la construction de l'impunité

Sur Arte une émission, animée par Isabelle Giordano, sur l'art contemporain. D'un côté Aude de Kerros et une journaliste allemande, de l'autre Judith Benhamou et une jeune galeriste (?).

La première a un discours plutôt conservateur : le sens à travers la forme, l'esthétisme. Et puis cette manière de parler très moraliste, sorte de singe d'un professeur d'université.

La seconde est plus mordante et ses intentions ne sont pas du tout sur un plan moral comme de Kerros, plutôt, avec sa compère, sur l'établissement d'un plan de reconnaissance, une complicité séductrice ; elle est critique comme de Kerros, mais un autre type de critique, là où de Kerros tente une critique à l'ancienne, pleine de mots, de pensées, une véritable prise de tête, Benhamou renvoie à des faits, accessoirement Jeff Koons, comme le critique du système, c'est une critique au sein d'un système acritique, un système de reconnaissance, de séduction et de convivialité qui est ce qui, fondamentalement, est un peu détesté dans l'art contemporain par ceux qui le critiquent sans vraiment parvenir à le critiquer : comment "critiquer" un milieu plein de forces diverses, dont l'argent, quand on n'en a pas, quand les grandes valeurs dogmatiques de l'époque ne passent pas (plus) par soi ?

C'est un peu le problème de de Kerros. La critique de Benhamou, avec son Jeff Koons, est loin d'être une critique, c'en est presque de la flatterie ce que fait Koons ; il était une époque, sûrement, où la moindre entorse à l'image du roi conduisait au cachot, il en est une autre où bâtir la tombe de Pinaut en tant qu'œuvre commandée par lui conduit au pinacle (Cattelan) : mais au sein d'un monde bien codé, celui de l'art contemporain, où le roi, même enterré (rah ben on meurt tous un jour, n'est-ce pas), reste le roi (on peut se demander d'ailleurs si dans cette lointaine époque supposée-avoir-existé-tellement-je-n'y-connais-rien, écorcher l'image du roi n'allait pas avec un risque de chute pure et simple pour lui, quand Pinaut ne craint pas grand-chose).

Ce que de Kerros tente de dénoncer, c'est ce monde de l'art contemporain qui se bâtit dans la joie et la bonne humeur comme sur un nuage, celui des riches, pour faire simple, qui ne craignent rien ni personne, et surtout pas la critique d'une (mauvaise) artiste et (mauvaise) critique paraissant finalement passablement coincée, chiante, et tout ce que l'on voudra.

Ce qu'il faudrait, ce serait une sorte de force plus forte que celle de Pinaut, Koons, Cattelan et Cie. Capable de les renverser, mais sur un plan même loin d'être physique, même si s'y actualisant parfois (comme les élections présidentielles, par exemple…). Où, pour le dire ainsi, les valeurs dogmatiques de l'époque ne passeraient plus par eux, l'argent en premier lieu.

C'est cette obéissance à ces valeurs qui discréditent les propos de Benhamou et de sa jeune compère malgré leurs bonnes intentions affichées, envers l'art et les jeunes artistes notamment (on en connaît un autre, fonctionnant comme cela).

Ceci et cela les rendant toutes les deux aussi insupportables, j'ai préféré accepter la pizza avec des petits pois dessus qu'on me tendait gentiment dans l'autre pièce.


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