dimanche, janvier 28, 2007

Le jeu (et en-deça et au-delà)

Sur tchatche.com, une fille de 18 ans, DarkAngele, de l’Ain, se présente ainsi : Présentation :
Comment peut-on se sentir si seule..alors que nous sommes si entouré..?Comment peut-on tout avoir et trouver le moyen d'être malheureux..? Com ment peut on etre si ingrat envers la vie elle même???...ca merite reflexion avouez !!

Dialogue (je n’ai pas honte, mon propos est ailleurs) :

tendregarcon: coucou ! fais pas cette tête !

DarkAngele: quelle tete?

tendregarcon: "seule"... "malheureuse"... tant que ça ?

DarkAngele : relis deux trois fois, ton cervo passera peut etre a laction et captera le VRAI msg ok?

(Je précise que ce pseudo n’est pas « mon » pseudo, mais un pseudo parmi tant d’autres… ; mon entrée en matière s’efforce elle de ressembler à celle des autres — la reliance, selon Maffesoli, se fonde sur l’imitation, mais là, elle est bien difficile, puisque l’on n’a pas de modèle sous la main, donc, peut-être, soit on imite bien, soit on entre dans le rôle du ‘‘créateur de mode’’, ce que je ne saurais pas faire.)

Tout de même, c’est bien alambiqué pour juste un coup de pine, non ?

Et puis, c’est assez angoissant, cette totale absence de naïveté, de pudeur, de gentillesse, de sentiments. Un espace paranoïaque de triage selon son désir, à l’orée de l’action.

Faire lien, c’est pas facile du tout ! J’ai été habitué à plus simple. Mais cette urgence du destin à s’emparer des êtres !

Je finis par répondre : tendregarcon: non, mon cerveau est lent, il est d'ailleurs connu pour ça. qu'est-ce que tu veux faire?...

Le charisme, la brillance de la star, il n’y a que ça, on dirait, aussi, à défaut de savoir faire lien. Sans l’un ni l’autre, on est totalement perdu, raus, ça vaudrait bien une chambre à gaz. Oui, je crois qu’il n’y a que des gens sur ce site que je détesterais en temps normal. Justement, me dis-je, justement. Surtout quand on a l’utopie de (pouvoir) faire lien avec tout le monde (concrètement : avec personne). C’est désespérant.

Saloperie de reliance, modèle adolescent érigé à l’universel. Quelle horreur. Si ce ne sont que les ados, à la limite, mais déjà c’est pénible à supporter. Mais c’est que tout le monde semble ainsi.

Tout plutôt qu’être « raté » et « con ». La peur de ces termes, distribués à tire-larigot (je sais de quoi je parle)… Cette peur mêlée à l’espoir, à la possibilité, que soi aussi, on pourrait réussir… Enfin là elle ne veut probablement qu’un plan cul (je n’ai toujours pas compris sa présentation).

Du cul, du cul, du cul. Marre du cul ! Quel est ce désert total enfin, désert de quoi est-il ?

L’envie de règles bien établies, explicites, l’envie de soumission collective, je ne peux pas la voir autrement que comme un monde particulier (l’angoisse des autres mondes, surtout ‘‘supérieurs’’…), ou comme une incapacité à comprendre les règles implicites, et donc le jeu qui se joue.

Ce n’est probablement pas mon domaine. Non, pas mon domaine du tout. Quand c’est le sexe seul qui régit les relations humaines…

On n’est pas loin du portrait, là. On n’en jamais été aussi proche, pour tout dire. Comment envisager l’autre ? Comment le voir ? Moi je veux bien le portrait naïf, genre presque le même cadre pour tous, régime diurne de la morale et de la politique affichée, politique propagande, tous morts, mais si vivants cela signifie aucun lien entre les humains sinon ceux des affinités électives exclusives, et selon des pulsions et des désirs en plus…

J’essaye de m’imaginer ces gens devant leur clavier et je n’y arrive pas. Ni une image générale que je pourrais plaquer sur tous, ni un ensemble d’images. Je ne suppose qu’il n’y a pas ‘‘de tout’’. Autant un blog ça ne montre qu’une facette de quelqu’un, autant là, c’est moins encore, mais d’une facette qu’on ne peut pas ne pas prendre en compte.

Je veux bien être naïf, con, et tout ce que vous voulez, mais il y a dans l’affaire à la fois trop de lumière et trop d’ombres. Je suppose que chacun a son point de vue sur la chose, ceux qui connaissent comme ceux qui ne connaissent pas. C’est peut-être une règle du truc, d’ailleurs, je me le demande : quand il y a à la fois trop de lumière et trop d’ombres : plus c’est ambiguë et plus chacun a son idée, chacun croit savoir, et peut-être même dans certains cas contre tout le monde. Peut-être. C’est naïf et con de vouloir y voir clair. L’essentiel est de paraître initié, n’est-ce pas, et c’est l’image que donnerait chacun en prétendant savoir de quoi il en retourne. Celui qui est au-dessus de tout ça, initié et pouvant porter la lumière devient l’idole du groupe si disparate soit-il.

Cela me rend triste. Il pourrait en aller autrement. Je pourrais dire : on ne peut pas suivre tous les chemins, si l’on n’en maîtrise pas certains, il y en a forcément d’autres que l’on maîtrise, dans lesquels on est censé se cantonner. Mais c’est que là est mise en doute sérieusement ma capacité à aborder les filles, et déjà à comprendre ce qu’elles disent… alors après pour seulement entrer dans le jeu… De grosses difficultés à comprendre leurs désirs, à comprendre ce qu’elles veulent… Sensation qu’elles coupent les bites à tout va jusqu'à celle qui résiste et finit par les battre. Comme si chez elles la bite était quasiment absente ou alors il n’y avait que ça, mais c’est peut-être moi, mais c’est que le symbole est fort.

Et puis jouer, toujours jouer. C’est un paradigme séduisant sous certains jours, mais sous d’autres, il apparaît comme le conformisme le moins original, dès lors que ce n’est pas pour rire, que le jeu a un enjeu, que ça devient réel, que ça devient un jeu de fous.

Aucun rapport réel dans ce monde, c’en est désespérant. Ça paraît facile et évident, quand on est petit, mais je ne sais pas pourquoi, et puis après ils tous fous et veulent qu’on le soit aussi. D’ailleurs c’est bien ce que tout le monde demande, de perdre la tête. Et moi, bêtement : « ne surtout pas perdre la tête ». Rapports de domination en veux-tu en voilà, rapports de jeu avec enjeu. Ils rient, vaguement ils rient, parce qu’il le faut, ou au moins le sourire, le rire, le sourire, ou même un ricanement, à la dernière limite, mais au fond, pas très loin, c’est très sérieux, extrêmement sérieux. Ils protègent ce qu’ils jugent être très sérieux, de la plus grande importance, eux-mêmes, la réalisation de soi, y arriver là-bas, et est sérieux, très sérieux, le jeu qui y mène. Qui ne comprend pas cela, qui ne joue pas le jeu comme quelque chose de très sérieux ne peut être vu que comme un étranger, un intrus, un être absurde, amusant peut-être, mais absurde, avec qui, c’est sûr, on n’entretiendra aucun rapport, un raté évidemment, le fou du village par exemple. Qui ne comprend pas le jeu, qui ne le joue pas, en oubliant qu’il le joue, évidemment, en oubliant que c’est un jeu, car il faut l’oublier pour éprouver les affects nécessaires, est un con, un naïf, un raté.

Comment on entre dans le jeu ? Les joueurs ne sont pas égaux, même si, innocent, débutant, on voit bien qu’il n’y a que des humains, mais justement, c’est parce qu’on est innocent, débutant, l’écho nous dit-il, au besoin on nous fera peur, on se fera peur, pour bien comprendre qu’il existe une hiérarchie ordonnée par le jeu. Alors on ne peut pas entrer comme ça, comme une fleur, égal parmi les égaux, connaissant toutes les techniques. Parce que si on les connaît, il faut le cacher, il faut éprouver les affects correspondant, il ne faut pas penser que l’on joue un jeu, ce degré d’intelligence étant très handicapant (mais c’est peut-être que notre jeu ‘‘naturel’’, le plus approprié à notre personne se trouve tout autre part — mais c’est justement ce défi au « destin », à la « nature », qui est intéressant : quelle déprime d’être à sa place quand on ne l’a pas choisie !) ; regardez les « génies ». On entre dans le jeu en percevant d’abord la hiérarchie et les places, en comprenant comment tout cela est agencé. Il y a comme des niveaux, des étapes auxquelles on peut prétendre, il y a toute une progression à travers laquelle on apprend et qui demande un peu de temps ; on peut apprendre vite, mais il faut néanmoins apprendre ; notre sens du jeu peut nous attirer des amis plus haut placés qui vont nous guider, et dont éventuellement on se débarrassera si et quand on les aura dépassés, mais que eux nous prennent sous leur aile signifie que nous les dépasserons.

Il y a des jeux partout, c’est désespérant. Il y a de quoi rire, mais le rire montre le mauvais élève, qui est puni sur le champ. La comédie fait rire plus facilement, mais n’est-ce pas parce que celui qui voit de la comédie fait déjà partie du jeu, et que son rire au final ne dévoile rien, ne montre pas qu’il a compris ? Il y a du jeu quand il y a comédie, mais c’est celui qui est étranger au jeu qui le voit tel. Il y a sans doute des fois (toutes les fois ?) où tous les joueurs voient du jeu, donc qu’ils ne communiquent pas un seul instant, cette illusion même les empêchant de rire ensemble, même si l’un la soulevait. Et puis, bien sûr, ce ne sont pas les joueurs qui pourront approuver le dévoilement de leur jeu, la ‘‘mauvaise foi’’, l’‘‘hypocrisie’’, étant de règle, on le comprend bien. Il n’y a pas de spectateurs dans le jeu, aucun. Si on ne rentre pas dedans, c’est que notre jeu est ailleurs, ouste, dégage. Un jeu est livré à ses joueurs, qui font leur petit jeu entre eux, personne ne peut venir y toucher (la loi civile, oui, c’est possible, éventuellement, comme ceux qui créent, qui produisent le jeu, sa loi et ses règles, ou seulement le dispositif dans lequel il se déroule). Pour porter un regard sur le jeu, cependant, il faut être joueur, mais les joueurs ne veulent pas en parler.

C’est plus simple quand on dit : de telle heure à telle heure je suis ceci (par exemple apprenti sociologue) et de telle heure à telle heure je suis cela (moi-même, si l’on veut, en tous les cas un banal acteur). Division de soi selon les fonctions, selon les rôles, qui pose le problème des ‘‘doubles jeux’’, si l’une des divisions ne corrobore pas par ses dires ce que l’autre connaît par son vécu, et d’autres questions encore si l’objet de ce dire n’a rien à voir avec l’objet de ce vécu, bref : où se trouve l’unité ? Celle du sage est évidente, stupide, peut-être, mais évidente, et c’est pour cela que tout l’admire, ou du moins le respecte (en le maudissant après l’avoir écouté, bien souvent, et bien sûr sans penser une seconde qu’il puisse être autre chose que (cette figure de) sage, qu’unité). Par la division, pas de prise de tête. On peut même parler de ce que d’autres vivent, si c’est un jeu qui est à peu près semblable, car les joueurs ne parlent qu’à des initiés (mais ne lâchent des informations qu’à de parfaits étrangers).

Ce n’est pas tant la division elle-même qui ne va pas, chez moi, ou bien sûr que si, mais avant même la division : que les choses soient claires, que les buts, les temps et les méthodes soient clairement définis, par moi et pour moi. Mes blogs en sont un reflet, de ce flou errant. Vues ainsi, les choses sont simples et il n’y a plus qu’à me mettre à clarifier. Mais non. Parce que l’errance n’est pas un vide, parce qu’au cours de l’errance on nourrit des vues et des rêves qui ne peuvent que modifier les vues du troupeau resté dans l’enclôt, et (re)devenir un mouton comme les autres c’est nous mutiler, ce qui ne poserait de problème à personne, soit pour une autre image c’est être placé tout au bas de l’échelle, et là déjà nous tiquons plus (parce qu’être mutilé, à la limite, c’est tellement compréhensible socialement, il y a tout le fatalisme populaire derrière… alors qu’être placé au bas de l’échelle, là déjà le parfum de la révolte flotte dans l’air). Des vues et des rêves naissent au cours de l’errance, et l’on a oublié leur origine, on se demande s’ils ne sont pas nés avant même que l’errance ne commence, on se demande si ce n’est pas là notre destin, allez savoir. En particulier, chose toute bête, faire passer le vécu dans le discours, et faire passer le discours dans le vécu, les deux étant unis ; ce que fait bien Maffesoli, par exemple, avec tous les (à peine) faux-semblant qui sont les siens, parce qu’il doit se comporter ainsi, encore. Le « dire », c’est de pouvoir dire quelque chose sur tous ; le « vécu », c’est de vivre normalement parmi tous, parmi chacun ou n’importe qui plutôt ; mais le problème des normes du discours d’un côté (on peut toujours prêcher dans le désert…), le problème des jeux de l’autre (et l’on peut toujours, à partir d’une position d’acteur unique, une position inconsciente, inexplicite, porter un regard et un discours sur tous et n’importe qui). Réunir ces deux dimensions, voilà qui semble à première vue aisé, mais, lorsque l’on regarde les choses d’un peu plus près, rien ne semble plus difficile. Ce qui peut être vu comme un début d’explicitation de ces célèbres phrases de Heidegger : « Qu’y a-t-il de plus facile, apparemment, que de laisser un étant être précisément ce qu’il est ? Ou bien cette tâche nous conduirait-elle devant ce qui est le plus difficile ? Aussi un tel dessein de laisser être l’étant comme il est, représente le contraire de cette indifférence qui tourne simplement le dos à l’étant. Nous devons nous tourner vers l’étant, à son propos nous souvenir de son être ; mais de la sorte, nous devons le laisser reposer en lui-même, dans son essentiel déploiement » — jolie phrase pour un philosophe, mais pour un sociologue ? et pour un acteur quelconque ? qui eux ne sont, ne peuvent pas être, dans des mesures différentes, de lointains spectateurs résolvant cette infinie distance dans le verbe, si précis et si lucide soit-il (mais Heidegger, entre autres, n’est-il pas particulièrement lucide et précis à l’endroit très distant où il parle seulement, dans ce silence et ce désert où il peut construire son ‘‘monde’’, son miroir, sa musique ?).

Au final, pour abréger, comme nous le demandent Deleuze et certains ethnologues : quel est notre délire, quelle est notre cristallisation culturelle, en termes de choses très matérielles ou en termes de symbolisation ? Il faut prendre tous les éléments en compte, mais il faut aussi trouver une place et aussi gagner notre vie. Le malheur de beaucoup vient sans doute de cela que les meilleures cristallisation culturelles qui seraient les leurs (sans compter que l’on intègre sans cesse de nouveaux éléments, sauf pour ceux qui ont trop peur de perdre leur place et de déséquilibrer cette cristallisation, peur augmentant, semble-t-il, avec l’âge) ne trouvent pas de place de sociale et de place sociale viable ; on peut supposer que ce malheur s’étend et s’étendra encore, ou du moins qu’il ne sera jamais réductible à zéro, puisque les éléments connus (cela est pour nous très naïf, quand on les connaît, c’est plus tard que leur connaissance apparaît décisive) peuvent être extrêmement variés et nous entraîner bien loin de toute place sociale promise, à moins, bien sûr, de faire en sorte, en se ‘‘protégeant’’, en adoptant une ‘‘bonne ligne de conduite’’, de se rendre conforme à cette place promise (mais ne sont-ce pas les vies les plus fades qui soient, qu’elle que soit la place promise ?).

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