mardi, janvier 30, 2007

[Innocence, de Lucile Hadzihalilovic]



(Regardant Innocence, de Lucile Hadzihalilovic — réalisatrice du court-métrage La bouche de Jean-Pierre, elle a aussi été monteuse et productrice pour Gaspar Noé.)

L’innocence, de jeune fille, c’est n’être corps, et que corps, ne pas y penser, ne même pas le savoir, et s’en trouver très bien, s’aimer, se voir belle, etc.

Une réduction spirituelle, de l’être, reposant sur une domination, des carcans spatiaux, comportementaux, cognitifs, donc par un certain espace, de certains comportements et de certains processus cognitifs.

Un dressage dans toute sa splendeur. Mais le dressage, ceci dit contre Nietzsche, ne produit que des animaux. Si beaux et si perfectionnés soient-ils, ce ne sont que des animaux : que des corps, que des corps pour les autres (et même un écrivain, par exemple, ne se limite-t-il pas à ses écrits ?).

La jeune fille, en ce sens, est l’homme dressé par excellence.

[Alice va voir de l’autre côté du miroir ; là-bas, où se trouve les hommes, de l’autre côté du mur des lamentations où elles déposent des portraits de Dieu ou de Jésus, là-bas, ce n’est encore que le bois, et l’on entend des chiens aboyer et des chasseurs qui tirent.]

[L’inexistence de toute excitation et de tout excitant ; corps fermé, un filet de sang s’écoule. Rêves et ennuis.]

La jeune fille subit les regards, les attentions. Elle n’est que corps (qu’en bien même apprendrait-elle d’autres choses, que cela changerait-il ?), mais à la perfection. Déesses et servantes, c’est un peu la même chose, elles finiront de toute façon dans l’oubli dès leur mort survenue. Ne pouvant entre temps que rêver de briller, et parfois des génies…

Monde totalitaire, asile, et des corps voués à la mort. Nullité de l’ensemble, quel que soit le degré de perfectionnement du dispositif (il n’y en a pas d’autre, selon Nietzsche, il faut veiller à son herméticité et à sa perfection). (Le théâtre où elles se produisent : là où elle sont vendues à un mari ? — dans la tradition catholique, comme dans les autres, ce n’est pas la virginité qui comptait, mais bien l’innocence ; quand elles la perdent, même si ce n’est qu’une curiosité, lorsqu’elles cessent de voir le monde limité au petit endroit où elles sont recluses, lorsqu’elles convertissent leur ennui et leurs rêveries par des signes réels voire même par des actions, elles sont vouées à la mort, elles sont déjà mortes.)

Quand elles perdent leur innocence, que peuvent-elles bien devenir ? (la veille de son départ, Bianca découvre sa sensualité.) Après leur sortie, je veux dire.

C’est ce dont Sade a tracé le revers dans ses 120 journées, le revers mais sans en sortir. Un siècle plus tard ils pensaient encore ne pas pouvoir en sortir. (Mais ça n’a pas changé.)

Pour la fin, je penche pour une maison close… Mais j’ai peut-être l’esprit encore trop « tordu ». Ou une école de danse. — On ne sait pas trop ; d’autres dispositifs asilaires, on suppose, tant elles sont sur la voie de l’innocence, à se demander ce qui pourrait les en faire dévier. Entre deux cercueils, entre deux immersions aquatiques.

Le jeu pour lequel elles sont préparées, et dont elles doivent rester innocentes (non, personne ne pense à Star Académie ! mais s’il n’y avait que ça…), occupe le centre de la société (on remarquera le théâtre…), dans les coulisses tous ceux qui ne sont pas innocents. Il y a même des gens qui se forcement à le rester, innocents, dans tel ou tel dispositif, même parfois seulement en rêves/cauchemars. Rester innocents, garder l’espoir d’être une ‘‘star’’, être fondamentalement « athée »… Je suppose que la Théorie de la Jeune Fille, que je ne connais pas trop, est déjà passée par là…

Mais il n’y a pas à choisir entre l’innocence et la pénitence ou la damnation. Juste sortir de ce que certains appelaient le spectacle.



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