vendredi, avril 20, 2007

Simulacre et simulation (explicitation)

Le simulacre est une "explicitation esthétique" comme "l'installation est l'explicitation esthétique de l'encastrement" (Sloterdijk, Sphères, 471).
"Les révolutions sont au fond des explicitations de l'implicite" (id, 468) : il y a un motif révolutionnaire dans le simulacre.
A propos de Toilettes de d'Ilya Kabakow (9e Documenta de Kassel en 1992) : "Lorsqu'on entrait dans Toilettes, on était impliqué dans une sorte d'habitat-comme-si. On participait à une expérience d'immersion temporaire dans ce qui constituait, pour d'autres, la situation centrale -- leur encastrement. L'entrée du (467) visiteur dans Toilettes était une manière ontologique d'aller quelque part : le passage de la situation d'art dans une situation de non-art s'accomplissait au sein de l'art lui-même -- ou, pour parler encore une fois en termes heideggeriens, il était er-örtet, à la fois localisé et commenté dans l'oeuvre." (id, 466-467)
"L'estime que l'on porte traditionnellement à l'image, comprise comme une invitation à l'entrée de l'observateur dans la situation représentée, ne peut plus actuellement, du point de vue de Kabakow, être reprise que par l'installation" (467)
Il s'agit d'une "immersion dans la banalité. Il s'agit toutefois d'une banalité rendue explicite, pour laquelle on ne sait jamais précisément si l'on peut s'y détendre ou non. La plongée dans le banal explicite est le saisissement qui n'a pas le toucher du saisissement." (467)
=> l'installation telle qu'en parle Sloterdijk est un simulacre, en particulier un simulacre, une explicitation, de l'encastrement. Celle-ci ne peut peut-être que prendre dans un espace délimité, hors profane, sacré : le musée, l'art en exposition (il faudrait se renseigner sur la sacralisation d'un lieu : dans certaines cultures, le dessin du lieu (son architecture, son agencement spatial ou environnemental), des symboles et des consécrations par des officiants religieux en font office : et dans le champ "profane" de l'art, pour un lieu qui n'est pas déjà un musée ou une exposition, est-ce l'inscription de l'institution muséale pour ainsi dire portative ?). C'est poser la question, plus concrètement, de la possibilité du simulacre en contexte profane, quotidien, banal : de l'explicitation du banal au sein du banal, d'un simulacre du banal qui dans le banal même soit une "plongée" et un "saisissement qui n'a[it] pas le toucher du saisissement" ; la simulation, au contraire, est modélisation invivable, en milieu climatisé, comme dirait Sloterdijk, du banal, puis son exportation en milieu banal : la simulation et le simulacre sont deux manières contraires d'explicitation.
=> l'explicitation dont parle Sloterdijk est présentée par lui comme unie, indifférenciée, bien que tout au long de son ouvrage il cherche à établir une différence entre plusieurs types d'explicitations, laquelle étant le fondement même de la modernité, ne peut être refusée ou contournée. Recherche en cours depuis sa Critique de la raison cynique, ouvrage dans lequel il montrait la différence profonde entre le cynisme moderne (cynisme) et le cynisme antique (kunisme) ; le premier pouvant se décrire dans une première phénoménologie comme "os[ant] se montrer avec des vérités toutes nues qui, par la manière dont elles sont mises en avant, gardent quelque chose de non-vrai" (CRC, 21). Simulacre et simulation (différence baudrillardienne) reposent chacun sur l'un de ces cynismes ; d'une certaine manière, on pourrait dire que le cynisme prétend croire alors qu'il fait semblant (mais cherche, technique de communication, à le faire croire), tandis que le kunisme prétend ne pas croire alors qu'il introduit à un croire plus respectueux de l'étant, comme dirait Heidegger, si l'on suit le programme de celui-ci : « qu’y a-t-il de plus facile, apparemment, que de laisser un étant être précisément ce qu’il est ? Ou bien cette tâche nous conduirait-elle devant ce qui est le plus difficile ? Aussi un tel dessein de laisser être l’étant comme il est, représente le contraire de cette indifférence qui tourne simplement le dos à l’étant. Nous devons nous tourner vers l’étant, à son propos nous souvenir de son être ; mais de la sorte, nous devons le laisser reposer en lui-même, dans son essentiel déploiement », programme qui peut apparaître comme celui-là même du simulacre.
=> au début de la modernité, le simulacre est explicitation du point de vue d'un auteur par lui-même(Cervantès, Vélasquez) . C'est sur cette base du "laisser un étant être précisément ce qu'il est", en l'occurrence l'étant-artiste, que l'artiste dans sa conception moderne s'est développé (ce que l'on retrouve dans l'art amérindien). Il s'agit du pouvoir de quelques-uns, et à l'égard d'eux-mêmes seulement (c'est également sur ce schéma que se constituera la figure de l'intellectuel) ; ce qui a pour conséquence d'introduire des simulacres, certes, mais, pour le lecteur, ou le spectateur du tableau, il s'agit déjà d'un retournement de son regard, de telle sorte qu'il ne puisse qu'avoir la vision de l'artiste, ou de l'intellectuel, et se trouve pris au piège de ce regard, du moins dans les cas où ce simulacre est présenté comme réalité. Ceci montrant que tout simulacre, comme toute création, oeuvre d'art, est répétition (Didi-Huberman), soit explicitation, mais explicitation de quelque chose ; la répétition (en sociologie Tarde parle d'imitation) étant telle qu'elle introduit nécessairement une différence, qu'elle est déjà autre chose, une oeuvre à part entière, elle ne peut pas être explication, démonstration, ou "explicitation" dans le sens couramment donné à ce terme, qui est de présenter sans créer autre chose, en restant dans l'illusion du même rendu plus clair aux yeux ; une telle fausse répétition, n'intégrant pas le déjà explicité redevenu implicite de ce qui est répété, tombe dans la simulation ; par rapport à soi-même, cela signifie que l'on ne peut pas s'expliquer sans devenir, que toute compréhension de soi, et par là même présentation de soi à autrui, est, ne serait-ce qu'au travers de cette présentation même, répétition de soi, et donc devenir, transformation, ou tout aussi bien, à l'inverse, qu'une telle explication niant cette répétition (répétant la chose même), est perpétuation de l'être comme tel, du même, mais du même comme devenir, creusant une distance toujours plus grande entre soi et soi, mécanisme de dépossession aux fins d'une consommation collective du corps, et plus encore. Ce devenir, dans la modernité, a êté codé comme devenir-artiste, ou devenir-intellectuel, du moins comme un premier mouvement (bien souvent, ce mouvement même n'est pas répété, seulement l'est la transformation opérée, ce qui est devenu, l'étant, alors compris comme être, comme habitus).
=> le processus moderne tend à expliciter (simulacre ou simulation) l'humain sur sa base d'individu biologique, à la fois à travers des dispositifs immensément collectifs (gouvernance), et à la fois par un effort de lui-même (sur le motif du devenir-artiste ; ce qui est compris dans la gouvernance, comme le notait Foucault [citation dans Fresh Théorie : la gouvernance laisse un espace de liberté à l'individu pour qu'il l'investisse, réalisant par là même son aliénation]). Or, de nos jours, la question qui se pose (l'installation, au sens de Kabakow, au sens de Sloterdijk -- et ce dernier, en tant que philosophe, est le symptôme de l'actualité d'une telle question), est celle de l'explicitation de ce qui est commun à plusieurs individus, que l'on en fasse partie en non : un processus de simulation à cet égard est en cours dans le monde contemporain, l'urgence de simulacres se fait sentir.

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