samedi, avril 21, 2007

Contribution à la campagne électorale 2

Grand(s) et petits théâtres.
Chacun avec ses fictions et ses techniques.
Le reflet de ce théâtre.
Critique des médias : ils ne reflètent que les acteurs de ce théâtre. Ni les choses elles-mêmes, ni les non-acteurs.
Pour ma part je vois les choses d'un peu loin, assez loin d'un engagement politique, qui peut-être n'aurait pas grand-chose à voir avec ces théâtres, qui peut-être concernerait moins le champ politique que ma propre petite vie.
Avoir des relations sociales satisfaisantes, aménager des lieux de repli gratuits pour les passants de la ville, et d'autres pour ceux de la vie, repenser la communauté (ou la famille, comme disait la gauche sous Jospin, soit la "plus petite cellule sociale" depuis les analyses de Le Play), et sans doute d'autres choses encore, qui toujours concernent la vie en commun, choses toujours repoussées sous motif de la prévalence de l'économique, du culturel (et oui...), des exigences de la vie quotidienne, de tout un tas de facteurs qui priment et définissent ce qu'il y aurait à définir. On peut dire que ça ne concerne que moi, on peut dire que ce sont à des instances plus locales de prendre les choses en main, on peut dire, encore, que ce n'est sûrement pas au politique de prendre cela en main (mais un gain de liberté à ce niveau-là, gain dont on aurait cruellement besoin, c'est déjà politique, n'est-ce pas, au lieu de garder la rue sous le seul contrôle des agents de l'ordre public, si même il s'agit de la rue ; mais repousser le politique, c'est aussi repousser les ordres moraux soutenus par de larges tranches de la population...).
Je ne m'y retrouve pas, non, c'est certain, mais alors pas du tout. La plupart des gens s'en moquent pas mal, font leur petit travail, et regardent le monde à travers leur activité. Je n'en ai pas, c'est peut-être le problème, mais c'est aussi ce qui me permet de voir ce monde qui m'environne sous le seul prisme de mon désir, de ma volonté et de mon désir. Continuant néanmoins à me placer passivement par rapport à ceux qui organisent notre monde, et nous en rendent moins spectateurs qu'ils produisent le théâtre dans lequel nous nous mouvons, confondant "fiction et réalité" au coeur même de notre vie quotidienne (l'exemple de nos grands-parents reproduisant à table les conflits entre les principaux représentants politiques comme si chacun était l'un d'eux nous ouvre les yeux sur nos grands-parents, mais nous reproduisons cela, autrement). D'où que la question de l'électorat, la question de la démocratie, c'est surtout celle d'une assemblée de gens qui ne se présentent pas sous couvert de leur action, de leur statut (il y a longtemps que les ouvriers, politiquement, ne sont plus tels, par exemple) ; pas spectateurs, mais bien acteurs : des acteurs dépourvus de raison propre, de pensée propre, d'un regard propre, d'une intégration propre dans le monde, se mouvant dans une fiction qui leur est proposée, et dont ils redemandent, passivement, fut-ce pour en riant, criant par là comme le "dernier homme" que la démocratie, ça ne les concerne pas.
Nos utopies d'hommes appartenant tout de même au monde contemporain sont si éloignées de ce théâtre dans lequel on nous place que la mise en place, l'explicitation, l'expression, de ces utopies en termes politiques, balayerait ce théâtre, et tout ce qui le soutient ; mais ce qui est, simplement parce que est, ancré dans des institutions, des lois, des habitudes comportementales, des métiers, des emplois, et tant d'autres choses encore, est terriblement puissant ; balayer tout cela épuiserait cent fois l'énergie disponible nécessaire à ce balayage et à la construction d'autre chose ; mieux vaut construire directement autre chose, et cela, sans doute, ne peut que se construire en dehors de la sphère politique, trouvant à se réaliser en montant des barrages contre son pouvoir, des barrières et des détournements, des interstices à investir, un grand mépris, ie une absence de tout jugement, une totale indifférence. Abandonner toute critique et se tourner vers ce que nous voulons, et seulement vers cela, est tout ce dont nous avons besoin. C'est le problème de la province, c'est le problème de la gauche, c'est le problème du marxisme et de la pensée critique, c'est le problème de tout ce qui croit devoir rester fidèle à ces quelques bases pour ne pas laisser libre cours aux constructions abominables de droite, qui s'actualisent magistralement avec Sarkozy depuis quelques années ; tout abandonner et repartir de zéro, avec toutefois son Nietzsche en poche comme exemple de ce qui peut croitre dans le "désert" (et Sloterdijk, et Berque, et tant d'autres) ; se libérer de toutes ces entraves qui virent aux haillons ; se libérer, principalement, du champ public, dans un concret ou dans l'imaginaire, si l'on n'a pas un endroit d'où parler, permettant d'aller vers ce champ public et de s'en protéger ; le désoeuvrement, en creux, est au coeur de la politique actuelle, et s'il disparaissait, jamais un bourgeois sans imagination, comme dirait Wacquant, un grand-papa du peuple, un petit garçon transparent et une ex-star de cinéma ne seraient les favoris ; c'est cette déformation en creux, dont le rire et la critique même sont des signes, des agents pour tout dire, qui est le grand problème, et ce n'est certainement pas du politique, encore moins au niveau national, même législatif, qu'il faut en attendre une solution ; ou pour le dire autrement, on ne peut rien attendre -- on ne peut jamais quoi que ce soit que d'un contexte social bienveillant, et c'est tout ce qui est détruit, au profit d'une mainmise politique et commerciale (et si l'on ne parle pas de la culture, c'est en partie parce qu'elle participe de cette mainmise), qui n'a pas d'autre but que de produire un "parc humain", comme dirait Sloterdijk, dont il n'est pas assez de dire qu'il est composé de consommateurs : il est avant tout composé d'humains même, et c'est bien tout le problème ; que nous ne parvenions pas à agir individuellement ou à quelques-uns sans attendre un retour en bénéfices de prestige ou monétaire, et/ou sans que cette action n'ait une résonnance positive avec un tout phantasmé, que nous soyons si séparés les uns des autres et liés uniquement dans des cadres que nous ne maîtrisons pas, que nous créons encore moins, et dont nous ne voulons pas ; que nous ne pouvons que finir par haïr cette vie, ce pays, ces habitants et tout ce qui s'y joue, que nous ne pouvons que finir par nous sentir étrangers chez nous.
Après, oui, nous pouvons rêver d'amour, et peut-être le vivre. Et je ne pense qu'à ça. Nous trouver, nous embrasser, nous serrer dans nos bras, faire l'amour parfois en nous effleurant même à peine, dans une petite bulle qui supprime les je, les moi, qui leur permette aussi de se réinventer. Mais c'est une métaphore, ne pas se prendre au piège de la désymbolisation. Tous les collectifs fusionnels n'ont jamais fait que la guerre, même si économique. Qu'ils puissent exister à nouveau, dans cette France comme dans cette Europe qui détruisent les nous et séparent les je et instaurent la domination de touts à différentes échelles encastrées, qu'ils puissent exister à nouveau, et à d'autres fins que guerrières, sans se refermer pour autant dans le total repli dans l'implicite avec vue sur l'au-delà que représente le romantisme, semble être le plus grand défi contemporain.
Je préfère encore un sourire gratuit et un regard complice à ces mauvais acteurs et à ces mauvais producteurs, trop riants et trop sérieux à la fois, qui n'ont pas d'autre but que de nous prendre au piège de leurs fictions, ainsi que de leurs prisons ; il y a même des télés d'internet qui mène des interviews de bloggers politiquement actifs, c'est dire. Le jour où l'on pourra dire je t'aime à n'importe qui dans la rue, que cette personne nous réponde la même chose, que l'on rit, que l'on sourit, ou même que l'on s'engueule, qu'il se passe quelque chose enfin, le jour où l'on pourra décider de ce que l'on va faire ensemble, que l'on pourra le vouloir et le désirer, sans se sentir obligé d'agir selon des attentes supposées de l'autre, sans chercher en nous-mêmes ce que nous désirons, sans aller droit au but d'une désymbolisation qui explicite en actes, sans la comprendre, la relation, sans qu'elle soit une conclusion de l'action mais bien plutôt un point de départ ; le jour où une reliance parcourera non chaque communauté ni la grande masse un soir de finale, mais tout lieu où deux personnes se trouvent ; ce n'est pas une histoire de croissance, ce n'est pas une histoire de climat, ce n'est pas une histoire d'imaginaire en développement, en expension, ce n'est pas dans le ciel dont nous serions passifs, ce n'est pas non plus dans une histoire d'imitation d'autrui, dans la volonté acharnée, désespérée, d'interagir avec autrui, ce n'est pas non plus dans la volonté individuelle, c'est plutôt, dirait-on, à la surface des corps, dans des tacts, des effleurements, des bonnes distances, des sourires et des regards, un inquantifiable, un immontrable, étranger à toute raison moderne, donc aussi à toute pseudo théologie ; cette membrane, ce moi-peau, qui nous permet de respirer, d'être tout à la fois nous-mêmes et non un individu, qui nous permet de nous lier aux autres et de nous refermer. Métaphysiques climatologiques, sociologies dispositionnelles, philosophies taoïstes, psychologie du moi-peau, anthropologies de l'imaginaire du collectif, arts du simulacre et des installations, géographies de l'espace habitable... tous montrent, de différentes manières, que c'est à nous de nous créer nous-mêmes, et ce qui nous réuni, et nos communautés, et notre environnement, ou à défaut d'être compris et de servir, ou à défaut de pratiquer un art deleuzien ou baudrillardien de la disparition, ou à défaut de désymboliser celle-ci et de nous retirer, de nous laisser mourir, dans le silence d'un couteau, dans la lenteur d'une maladie, comme dans le spectaculaire, après même que les meilleurs aient crâmé dans les années sida, liquidant les espoirs d'une confiance dans le monde qui nous était donné. On dit que les japonais, dans toute réunion, avant de discuter, accordent leur respiration ; la notre, même seuls, elle est désaccordée.
Il commence à faire jour, je vais aller me coucher ; seule la nuit, seul, me voit comme apaisé ; mais grillant clope sur clope. Nuit que 900 miles, à défaut d'invention, pouvoir du symbolique, en l'absence de l'autre et de corps qui se touchent, clôt.

statistique Locations of visitors to this page