lundi, avril 09, 2007

Humain : soustraction des dispositifs techniques

Faut bien comprendre, aujourd'hui, toute l'importance du médiatique, toute la propreté du médiatique. Internet montre plus souvent de mélancolie qu'à la télé ; spectacle vivant celle-là encore, Internet c'est beaucoup des gens qui restent seuls chez eux, assis devant l'écran. On met des choses sur Internet comme dans une boîte à secret, une armoire à hontes, une boîte aux lettres magique adressée aux morts, et aux inconnus d'au-delà les mers. Intellectualisation purement technique, tout ça, qui interroge le corps, la vie, le temps, les rapports humains, l'autre, l'utilisation de ces techniques... comme on dit, la culture.

On peut rêver de ce que l'on veut, et vouloir ce que l'on veut, ça n'a de valeur que partagé, c'est-à-dire proposé au commun et accepté par les autres, qui rendent d'une manière ou d'une autre, en cliquant simplement, en faisant circuler, en parlant à propos, critiques et commentaires, en achetant, en vendant même. La communauté n'a peut-être jamais cessé d'exister, après-guerre c'est le pouvoir encore seul qui crée la société, relais espéré par la télé elle-même.

Fascination du primitif, de la matière, du sale, du pur qualitatif. Ça ne se vend pas, ça ne se partage pas, ça se vit encore moins en commun, à peine s'exprime, déjà. Hors le règne de la technique, le règne de l'image et du langage, des grammaires en tout genre, à se demander si le langage lui-même n'est pas phagocyté, très irrémédiablement.

C'est que je vis entre des écrans, diront certains, très habitués au rapport personnel mêlé de flicage, habitude réflexe, protection talisman, très proche des doigts en croix vade retro satanas que j'imagine moyen-âgeux, manière de se tenir entre les écrans des mois, pur habitus technique, ronde des personnes en comédie humaine sans rire, sans tragique et ni drames. Braves gens très transparents qui proposent bien le sexe et autres consommables. Braves gens avec lesquels on reste dans les superficialités sérieuses, sans rien derrière. "Le plus profond c'est la peau" mais je m'imagine la peau de si près que c'est déjà tout une vie, et plus encore, véritable palimpseste et non surface universelle unie, écran monochrome de platitude partagée, virginité commune d'être semblable et c'est chouette, humanisme du sans-soucis, peut-être même du sans-corps.

Les intellectuels se succèdent et nous les regardons. Il y aura bien des gens pour parler d'eux comme d'un spectacle vivant. Leur pensée est visuelle, comme leurs apparitions. Jeux techniques avec les discours, on suppose qu'ils s'amusent, qu'ils ne croient pas en ce qu'ils disent. Imaginaire technique très post-structuraliste et ironique à son égard, et Baudrillard s'est retiré de la scène, désespéré petit singe.

Nous savons que nous y sommes parce que nous entendons le bruit, sans même y penser. Le bruit et non des bruits, il n'y a que des sons, des sons et le bruit, la qualité du bruit indique l'espace où nous nous trouvons.

Depuis des décennies peut-être des siècles, comme s'ils projettaient devant ce qu'amassé derrière, dans l'ombre, non-dit et qui doit disparaître. La seule validité du partagé, de l'universel, du publicisé, du bien formé, formé selon des règles qui à défaut d'Etat sont celles de la communauté, un pouvoir très technique qui quand n'a pas de représentants les souris décrètent qu'on peut jouer avec, projet kantien purement démocratique, pouvoir du peuple sur le peuple, retour communautaire, plutôt perpétuation.

Exigeance de mise en commun, exigeance d'être quelqu'un, exigeance de se présenter et de s'exprimer, exigeance de faire. Des millions de producteurs, dans la joie et la bonne humeur, le stress et la panique, l'énervement que tout n'aille pas parfaitement.

Intellectualisation technique, des corps dressés. Mis en présence mais séparés, reliés par la communauté d'un bruit. Que tous les bruits, à chaque fois singuliers, non superposables, que tous les bruits se valent, qu'il faille faire avec, que ce n'est pas l'important, voilà un bon mensonge qui n'a de but que de détruire le goût en matière de bruit, en matière d'espace, en matière de communauté, afin de construire des mises en présence très pensées, afin de créer des communautés, qui ne marchent cependant que si les membres ont à échanger, et le peuvent, chacun poussant l'autre, dans ses demandes et ses attentes, à couler ses propositions dans des formes partagées.

Production des techniques, des formes partagées. Demande, obligation d'échanger. Avec qui devient la question primordiale. Avec qui et puis où, dans quel espace, au sein de quel bruit. Etouffement des communautés, seul repli et si douces. Paranoïa des grands ensembles, qui tendent à imposer leur règne, à ce que la technique dicte la conduite de toutes les dimensions de la communauté.

Quand cesse le bruit. Il faudrait garder tout le monde en place et faire cesser le bruit, le remplacer. Puis les lumières. Puis les écrans, les caméras, et toutes les surfaces, les images, et autres dispositifs techniques, comme le langage. Plonger le monde dans "le noir", "chaos", "néant", "primitivité", rien de tout cela bien sûr.

Les rabats-joies contents de leur vie, contents de leur monde, diront : c'est un effet de la campagne présidentielle, ne t'inquiètes pas, ça va passer. Tout souci est une maladie, c'est bien connu, pour les bouffons du roi, des communautés démocratiques décapitées. Ils ont raison, ils ont toujours raison. Effet de la campagne, effet de trop de temps devant les écrans, effets des pages webs parcourues, forcément, forcément, change ta vie et tu changeras, souris et tu verras le monde souriant, mais comment faire, alors là ils ont chacun leur petite recette, petit sésame pour entrer dans leur monde, donc aussi s'en exclure, si le besoin se fait sentir.

Le pouvoir, la médiatisation et les communautés ne diffèrent qu'en peu de choses. Faire abstraction du bruit, et autres éléments du dispositif, les soustraire un à un, ou inclure en soi le vide, un bruit bien à soi, sa voix en résonance sourde peut-être, ou plus profondément. On ne rencontre que ses semblables. Etranger peut-être parmi ces personnages de fiction, ou au contraire humain, primitivement humain, sensible au qualitatif.


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