vendredi, avril 20, 2007

Contribution à la campagne électorale

J'en ai marre de ceux qui vivent le monde comme représentation. Surtout parce que c'est quelque chose que j'ai su faire, j'ai essayé en tous les cas, et puis, en période électorale... et puis avec le réchauffement climatique... enfin, des urgences, il y en aura toujours une, entre deux on s'ennuie, on comble les trous avec de l'insignifiant, on vaque à ses occupations, ce que l'on fait tout de même en période de non-imaginaire-collectif-évènementiel.
La représentation, ça ne me dérange pas, c'est "le monde" qui me dérange plutôt. Façon de parler, je sais, surtout qu'en période de règne hégélien, d'accélération du processus d'explicitation de... du monde, oui, difficile d'en sortir, mais certains sont plus précis. La représentation ne me dérange pas ; Schopenhauer, à part se prendre le chou avec sa voisine n'a jamais fait grand chose d'autre qu'écrire, et l'on pourrait rester dans ses représentations toute notre vie, on vivrait sûrement ainsi une vie meilleure.
C'est la représentation comme médiation qui m'ennuie. La démocratie, ou la République, ça fonctionne à travers une médiation représentationnelle qui circule en en parlant, quoi qu'on dise à l'intérieur de ceci. Concrètement, ça se met en scène dans les dîners de famille, dans les conversations courantes, sans parler des médias, ça va de soi, la caricature au sujet d'ils en ont parlé signalant même déjà, il y a au moins un siècle, un retour sur la presse de ce schéma, une fermeture de la représentation sur elle-même. Chacun a son avis, parce qu'il faut avoir un avis, et nos grands-parents participaient à des dîners où chacun incarnait l'un des candidats, un véritable théâtre quotidien dans lequel les acteurs croient à leur rôle, ne font pas de différence entre "fiction et réalité" (après ils viennent nous gonfler les oreilles quant au virtuel, désespérant...), bien que l'histoire ne dise pas si un recrutement sur le tas avait lieu pour décorer un convive des habits d'un candidat qu'il ne supporte pas forcément.
On a l'habitude, maintenant, d'être spectateurs, et nous le sommes encore bien plus que nos grands-parents, qui eux encore étaient, ironiquement, acteurs. C'est bête, en plus, ce petit théâtre, puisqu'ils se réunissent en famille pour manger et boire un verre, ils se disputent, puis ils quittent la table en beuglant, en recommançant quelques mois plus tard ; c'est un peu le but de l'Etat, aussi, de mettre la famille en danger mais de s'asseoir dessus quand même ; les politiques, eux, d'abord se disputent, puis c'est ensuite qu'ils boivent un pot, réunissant par là la famille, au-delà des petites différences genre gauche-droite (vers les extrêmes, peut-être qu'ils ne participent pas au pot, mais ils ne participent guère au pouvoir non plus, et à peine aux disputes : les bords permettent de garder le centre, n'est-ce pas).
Du point de vue bêtement interactionnel, il ne s'agit jamais "que" d'une médiation, une certaine médiation, un mode parmi beaucoup d'autres, entre des acteurs sociaux (eh oui, on n'existe socialement qu'en situation d'interaction, et alors difficile de ne pas être acteur ; c'est après, sur le spectacle en question, que les avis divergent, et donc sur le sens de "acteur"), et de la fiction qui permet à cette médiation d'avoir lieu (soit comme dans un jeu de société, il y a sur le petit papier deux choses différentes : la composition du jeu, et la règle du jeu, les deux intégrants, l'une sur le plan de la forme l'autre sur le plan du fond, des représentations, la fiction qui permet de jouer, mais cette fiction ne compte pour ainsi dire pas, ça fait juste décor, c'est juste un skin pour les yeux, pour que notre esprit ait plus de facilité à se fixer sur le jeu, à y croire, et donc à le jouer).
Le monde comme représentation n'a pas d'autre fin que de participer à des jeux et autres théâtres interactionnels comme ceci. D'où que gamberger dans son coin le monde comme représentation, c'est surtout se préparer aux prochaines interactions que l'on va avoir, auxquelles on va participer. Plus l'on y gamberge, plus l'on y croit, et plus il y a de chance que nous ne connaissions pas d'autres modes d'interaction ; les maoïstes étaient fortiches à ce jeu-là. Ce qui veut sans doute dire aussi que les autres modes d'interaction se préparent également, dans la solitude, mais tout autant qu'ils reposent sur des techniques, sur des habitudes, sur un rodage et une expérience.
Généralement c'est creux, ces grands discours, mais creux de chez creux. Une cervelle, pour peu que les plombs n'en soient pas sortis en laissant des trous, ou entrés, d'ailleurs, se lyophiliserait de suite à se pencher sur eux. Or il existe des personnes qui ne font que ça ; je dis "personnes" parce qu'elles ne sont plus qu'images. Elles font souvent, du reste, le contraire de Gide : elles nourrissent l'esprit avec de la soupe, et leurs nourritures terrestres ce sont ces espèces d'interactions théâtrales de croyants hypotrophiés.
Le monde comme représentation c'est donc se laisser berner aux médiations interactionnelles, du moins celle du mode décrit, qui n'est du reste pas spécifiquement langagier (auquel cas on pourrait le différencier de la guerre, de l'amour, et du on fait des choses ensemble, mais ce n'est pas ainsi dans la mesure où ce n'est pas aller droit au but du mode en question : derrière l'amour la jouissance, derrière la guerre la mort, derrière l'activité l'activité elle-même ou son but (gagner la partie de Monopoly, pour prendre l'exemple d'un sportif), derrière le discours le partage d'un imaginaire collectif, d'une médiation représentationnelle par laquelle les personnages montrent aux autres et à eux-mêmes que oui, ils sont de bons citoyens, que oui, ce sont de bons cinéphiles ou qu'ils connaissent leur rayon philosophique). On peut s'y laisser berner par le biais d'un bruit ambiant (par exemple le bruit ambiant au sujet du "réchauffement climatique", puisque telle est la formulation semble-t-il la plus en vogue), ou encore par le biais d'un bonhomme particulier (par exemple Allègre, Hulot ou Pelt). Il y en a même qui vont dire : non mais je vais voir plus loin, sans pour autant le faire, mais certains le font quand même, et quand il ne s'agit pas de l'adoption d'une discipline de la vie quotidienne, de l'intégration d'un ordre moral quelconque (après laquelle d'ailleurs le petit pion de la secte peut devenir officier du gourou. En politique on appelle ça militant), quand ce n'est pas non plus la saine recherche de repères qui lorsqu'ils sont trouvés on jette l'emballage qui les contenait (mais ce n'est pas très écologique, comme geste, pourrait-on dire, écologique serait une intégration organique, soit devenir un parfait militant, autrement dit voilà une bien belle méthode pour arriver à croire, au sens même des zombies de sectes mormones ou autres, ie que ça peut être diffus, très diffus, mais toujours là... ; des ramollis du bulbe qui z'auraient oublié que l'athéisme, si on peut le dire comme ça, est un combat, peuvent dire de leur voix molle, "mais l'homme a besoin de croire, non ?", on leur répondrait la bouche en coeur que non, l'homme a besoin d'interactions, mais plus encore d'interactions, de dispositifs, qui comportent par nature médiation et interaction, dans lesquels il puisse avoir confiance, après quoi ces raviolis de la vulve pourraient bégayer que "mais... euh... ben oui, c'est ça : croire !", sans comprendre qu'ils ne cessent d'avoir en tête l'unité de la chose crue, qui en retour définit l'unité du croyant, donc son aliénation corps et âme, sa démission en tant qu'humain allant de paire, curieusement, avec son unité, laquelle réduction à l'individu biologique est un phénomène typiquement moderne, et pas plus ancien, et là d'ailleurs, ce qui supprime le "curieusement", Marx est plus témoin, symptôme de son temps que penseur, s'il l'a jamais été).
A mesure que l'on devient plus spectateurs de la politique, à mesure que l'on cesse de reconduire les petits théâtres de nos grands-parents ou ce qui pourrait en tenir lieu, soit à mesure que s'étend ce que certains nomment la désaffection de la et du politique, croit autre chose, toutefois contigue. Il n'y a pas désaffection, c'est simplement que les choses se déplacent, et l'on peut trouver ce déplacement dans la médiation représentationnelle. On peut dire ce que l'on veut sur "les jeunes", et singulièrement sur "les jeunes de banlieue", cette position de pur spectateur et ce déplacement, nous sommes quand même nés dedans, pour peu en plus que les conversations de nos grands-parents nous ennuyaient au point d'aller mollement faire dire tut-tut à nos voitures, et puis aussi tchou-tchou histoire de changer un peu, ou d'aller tout aussi mollement faire rebondir le ballon sur le mur. Ce déplacement, il est que la médiation représentationnelle, de la chose politique va vers ce qui nous est plus commun à tous, sort du terrain de la seule action politique ; la culture, déjà peut-être, mais surtout là "l'environnement", "le monde" ; et avec ça, aussi, on ne joue plus aux hommes politiques, mais on peut jouer à nous-mêmes, s'il arrive que des gens aient des débats enflammés à propos de leur utilisation des poubelles à recycler, allez savoir. Déplacement sans doute nécessaire à ce qu'il y ait, en tous lieux de France (pour l'Europe c'est pas tout de suite, mais cela se poursuit : on construit déjà les mêmes immeubles à Paris et à Rome), un dénominateur commun aux fins d'interactions, bien que le silence, et peut-être, parfois, la peur, l'aient sans doute emportées sur le babillage à propos du temps qu'il fait et fera, et bien que, à vrai dire, les discussions politiques ne concernassent plutôt que les relations suffisamment intimes.
D'où que ça pue donc tant, ici ? Eh bien, de la médiation interactionnelle, qui régule les rapports en sphère semie-privée (et parfois même intime, c'est dire ; ça peut même toucher les couples, mais déjà les enfants, depuis qu'ils sont de grandes personnes, depuis qu'ils sont depuis tout petits déjà des étrangers que l'on accueille bienveillamment-mais-faut-pas-pousser). Il y en a toujours une, ça va de soi, mais laquelle. Quel est son mode, quelle est sa fiction ? C'est comme un jeu, avec sa composition et sa règle, et sa fiction intégrée, et peut-être aussi son but, un jeu que les acteurs joueraient parfois, le plus souvent sans doute, sans savoir qu'ils le jouent ; l'individu tout seul peut rêver de ce qu'il veut, il peut aussi souhaiter de "s'exprimer", de "se désinhiber", et autres termes approchant, mais le but est surtout une transformation des interactions courantes, surtout avec les personnes connues, même si cela nécessite un recyclage à cet égard (le but, semble-t-il, de la constitution de soi comme soi et d'un soi comme très expressif, totalement déshinibé, étant la capacité d'entrer dans n'importe quel type d'interaction, voire d'apporter avec soi la boîte du jeu ; ce qui est récupéré, ou détourné, par des modes interactionnels spécifiquement d'expression ou de désinhibition).
Pour dire tout cela autrement, la désastreuse campagne politique qui traîne dans l'air pourrait être comprise sur ce mode-ci : ce qu'il faut changer, ce sont les interactions avec nos semblables, car là seulement réside, en ce qui nous concerne chacun, toute politique. Et, si le pouvoir en a si peu que Jospin le prétendait (et s'il n'est pas possible de contraindre les chinois au respect de l'environnement, au contraire de ce que prétend Hulot, et si l'on veut bien donner le bénéfice du doute à Allègre qui dit grosso modo que c'est tout un foin qui a comme source et destination tout autre chose que ce dont ça prétend parler), alors non seulement on vivra peut-être un peu mieux, mais en plus on aurait dans ce cas quelque chose que les chinois n'ont pas. L'explicitation du monde touche jusqu'aux relations intimes, et sa maîtrise jusqu'à celle de tout rapport humain, jusqu'à leur invention.

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