lundi, novembre 20, 2006

Créateur, consommateur, dégoûté

Si l’on part du principe que le créateur crée quelque chose de nouveau, que ce ne peut pas relever du ‘‘retrouvé’’, du ‘‘rappelé’’, donc de la ressemblance avec une création déjà connue, qui ne peut donc pas être la mesure de son appréciation, une émotion retrouvée, alors il faut considérer qu’il détient quelque chose qui lui fait apprécier cette nouveauté, chose couramment appelée goût. Goût ou du moins savoir, un savoir particulier.

Si l’on part du principe que tout art repose, pour pouvoir l’apprécier, sur un ‘‘paratexte’’ qu’il faut connaître, savoir, qu’on l’ait appris consciemment ou non, un savoir qui devient goût s’il disparaît comme ajout à l’être, alors il faut considérer que le créateur détient un savoir, ou plutôt déjà un goût, qui lui permet, ‘‘naturellement’’, de créer ce qui n’existe pas.

C’est la force imbécile du créateur, force imbécile qui est au cœur de la « volonté de puissance » nietzschéenne. Ou pour le dire autrement, sa création ne ressemble pas à une autre création, mais à sa ‘‘volonté’’, soit, comme le dit encore Nietzsche, à son « goût ».

Nietzsche dit que discuter des goûts et des couleurs, c’est tout ce que nous faisons. Pour autant, il serait trop rapide de considérer que tout a un goût, pour ne pas dire ‘‘du goût’’, si le goût est conjoint à la volonté. Ou alors il faut considérer, avec Nietzsche, le polymorphisme de la volonté, seule manière de comprendre de façon relativiste le goût du créateur, celui du consommateur et le goût de celui qui accepte soumis n’importe quel goût. Il serait plus juste, cependant, de considérer ces « goûts » comme des logiques, détachées des acteurs, parce qu’il est évident que tout le monde répond, non simultanément, à elles. Relativisme qui permet de relativiser le romantisme nietzschéen puisque la « volonté de puissance » n’appartient qu’à l’une de ces logiques.

Le créateur voudrait ainsi être singulier, ‘‘lui-même’’, obéissant à la volonté de puissance, principe qui met en branle sa propre volonté, son propre goût. Le consommateur voudrait lui être relié, obéissant dans une logique qui peut sembler sécuritaire à ce qui existe dans son environnement. Le dégoûté, quant à lui, en vient à vouloir n’être personne, refusant d’avoir tout goût, les laissant tous passer, un peu comme on peut le dire du désir, afin de se détacher, peut-être pour préserver, dans une logique du repli plus que sécuritaire, sa propre volonté, qu’il se faisant annihile, et finit par n’être personne.

Aborder l’art par l’art lui-même, par les artistes et ceux qui apprécient leurs œuvres, ne nous permet que d’aborder les deux premières logiques. Or il semble bien que la troisième soit la plus répandue, même si beaucoup jouent le jeu, pleins de bonne volonté réelle ou factice, se construisant au besoin des rationalités permettant de faire passer les choses dans l’indifférence, phénomène dont les deux attitudes les plus courantes sont sans doute de se poser devant un tableau et de faire oui-oui de la tête et de s’en aller, ou de dire devant une œuvre contemporain ne rien comprendre, attitudes qui reviennent à se mettre en retrait, à accepter ces œuvres, mais en suspendant son jugement, à les accepter moins soi. Le fait majeur de cette dernière logique est la non-connaissance du paratexte entourant une œuvre, et, si même il était connu, un désaccord à cet endroit, ou du moins long serait le chemin pour qu’il devienne incarné.

Peut-être ces trois logiques appartiennent-elles aux créateurs pour l’une, aux organisateurs, critiques, amateurs pour l’autre, au reste du public pour la dernière (parmi lequel sont intéressants ceux qui ont découvert quelque chose, qui sont en phase de début d’apprentissage du paratexte, de formation du goût, et sans doute le rôle de l’émotion est observer ici).


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