lundi, août 11, 2008

Ceux qui font leur pain tous seuls

Je pense à toi, l’ami, et je me demande : qu’est-ce que j’ai bien pu faire, aujourd’hui ?

Sans même parler, mais parlons-en quand même, du sens de ce faire qui apparaît un peu trop clair à ceux qui subissent sa soudaine révélation. S’agit-il de faire quelque chose de ses mains ? De voir naître quelque chose par son action, si ce n’est, encore une fois, sous ses mains ? — S’agit-il vraiment de se sentir géniteur — technique, magique — par le biais de la maîtrise (c’est quoi d’autre, des mains à l’action ?) ?

La stupeur (engourdissement) et la vacuité font place à un regain de vie, simplement parce que, pour les plus faciles à contenter, ils ont mis les ingrédients, à moitié obligés à moitié choisis, qu’il fallait dans une machine à pain (et quand on sait l’importance du pain dans notre culture, les sociologues devraient prendre les boulangeries comme indice du moral national — en terme de société, de lien social, j’entends, parce que forcément si chacun se met à faire son pain chez soi, c’est une autre histoire).

On est là dans le domaine de la pharmacopée et du symbolisme outrancier. Tout cela flirte avec la névrose.

Je me demande, quant à moi, ce que j’ai fait aujourd’hui, en cherchant une certaine résonance avec leur volonté de « faire quelque chose eux-mêmes ». Alors je dois dire déjà que quand j’achète du pain, parce que je l’achète, c’est généralement à la boulangerie du coin, et ça donne : « je vais vous prendre la baguette qui reste, là, à côté du couteau. — C’est une flûte farinée. — Ah bon, ben très bien, je vais vous prendre une flûte farinée, alors XD. »

Sans raconter ma journée, qui n’en vaut pas le coup (il n’y a même rien de drôle, puisque je ne travaillais pas), et en excluant les courses, faites d’après une liste, qu’est-ce que j’ai fait (et non pas branlé) aujourd’hui ?

Je connais, et aujourd’hui encore, bien une heure ou deux après m’être levé, à 13 heures, l’engourdissement et la vacuité. C’est presque déprimant, c’est presque énervant. J’ai été appelé pour choisir des coussins à Maison du monde, dont j’ai réussi à nous faire fuir bien rapidement, et dans la ville, encore — engourdissement et vacuité.

Les moments où ça ne l’a pas été, c’était quand — et c’est ce que j’ai fait aujourd’hui — : j’ai écrit un rapide scénario d’une pub alternative au sujet du pétrole, j’ai promené mon désir et ma rêverie parmi les boutiques (comment, mais comment, le « shopping » peut-il être une activité non solitaire ? ; sans rien acheter, faut pas non plus se laisser culpabiliser, non mais), j’ai lu quelques pages d’un bouquin en les laissant résonner en moi jusqu’à une cohérence, je me suis vite questionné sur l’agencement et le corps sans organe, j’ai cherché puis écrit des cartes postales, j’ai cherché et trouvé une épicerie où acheter du gari, j’ai surfé sur des sites de recettes, j’ai joué avec Hara Kiri, j’ai fait rapidement à manger et un dessert appelé gari dossi.

Tout cela n’est pas grand-chose, et si l’on enlevait les moments d’engourdissement et de vacuité, ce serait un peu plus que cela. Et on peut les enlever, je pense, puisque je ne les ai pas voulu, je les ai plutôt subis — autrement dit j’aimerais dire qu’ils n’entrent pas dans la composition des vitesses particulières à ce que j’ai fait, et pourtant c’est tout le contraire : l’engourdissement et la vacuité sont aussi nécessaires que le faire, et ils s’informent mutuellement (ne parle-t-on pas du repos du guerrier ?).

Les êtres humains, dis-tu, s’identifient, s’opposent et créent. S’identifier et s’opposer, c’est un peu pareil, ajoutes-tu. Ce rapport réflexif n’a pas vraiment d’autre but que de conserver la personne à laquelle il renvoie, quand dans la création la personne disparaît.

Disparaître par l’effort de création qui les lie au monde, les installe dans un devenir, et voir, sentir, qu’effectivement quelque chose devient, quelque chose qui ne se limite pas à eux mais qui les concerne grave, parce qu’ils deviennent aussi, tout impersonnels, disparus qu’ils « sont » alors — recherchent-elles autre chose, ces personnes qui veulent enfin faire quelque chose, et qui finissent par faire leur pain ?

Et n’est-ce pas quelque chose que l’on peut faire constamment, au creux du quotidien, quand on ne reste pas immobile à se regarder dans le miroir, observant par là des images d’identification et d’autres de rejet ? Qu’est-ce que vivre, si ce n’est pas, « à tout instant », être ainsi ‘‘créateur’’, aménageant par ailleurs des repos, disposant stratégiquement la stupeur, pour moduler ses différences vitesses ?

Alors après bien sûr, quand on nous demande, cette phrase frappée du sceau de la déprime ou, au contraire, de la mobilisation socialement valorisée (papiers administratifs, courses, art et culture, travail, achats divers, tous ces faux évènements parmi lesquels, ô parjure, certains rangeraient même les actes d’amour), « qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui ? », la seule réponse possible, quand il ne s’agit pas de jeter une poignée de sable aux yeux de l’interlocuteur, est : « ben rien, pourquoi ? ».

Et bien sûr j’ai mal ici et là, des bracelets sous la peau aux poignets et j’ai failli me choper une crise d’angoisse dans le métro en allant sur ordre à Maison du monde, je suis loin d’arrêter de fumer et de boire de l’alcool, je suis toujours plus critique qu’enthousiaste vis-à-vis de ce qui m’environne, c’est rare que j’aime bien plus de 5% de n’importe quoi et qui, etc. etc. Mais tout ça, au fond, on s’en fout. C’est pas une surprise, qu’on va mourir ; ça ne justifie pas de se regarder les rides dans la glace ! (Ah tiens j’ai découvert en en trouvant un exemplaire dans le métro que certaines filles se glissent un crayon blanc sous les ongles pour qu’ils soient plus blancs. A glisser dans la série dessine-moi une gadji à même le corps.)

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

on se demande surtout à qui tu parles, en fait ^^

8:56 AM  

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