mercredi, novembre 01, 2006

Désolé, je n'aime vraiment pas Anna Gavalda

Lu la nouvelle de Gavalda dont elle cite un passage. Ça me donne mal au cœur que je sens battre beaucoup trop fort et envie de vomir. J’ai pas besoin d’excitants imaginaires, merci bien. Déjà la nouvelle en elle-même, et puis. Et puis c’est fatal dans ce genre d’écriture, quand ça raconte naïvement une histoire, tout le monde sait ça maintenant : on s’identifie. On s’identifie et on identifie, identifications qui nous font accepter l’histoire comme du réel, c'est-à-dire de la fiction, parce qu’on croit que ça en parle, du fait de ces identifications qui nous font voir untel ou unetelle ou moi-même et que dès lors on ne peut nier que c’est vrai, que quelque part c’est vrai, mécanisme piégeur alors que contingent. Parce qu’il n’y a pas de repères, parce qu’il n’y a pas, peut-être surtout, de narrateur ; ou alors un narrateur qui raconte naïvement l’histoire, ou alors l’auteur seul, qui nous montre son histoire avec complicité. Cette bienveillance que j’imagine sur son visage, à l’auteur, il faudra quand même un jour que tout le monde sache que c’est pire que la mort ; et son visage, qu’il se prenne pour la madone ou jisus chraïst, est celui du diable s’il n’est celui de la mort.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas de narrateur. Il apparaît à un moment donné, lorsque le récit, sur une ou deux pages, se fait à la troisième personne, mais c’est un narrateur absent, conventionnel. Du coup je ne peux imaginer que l’auteur. J’imagine la tête d’Anna Gavalda, penchée sur moi, au-dessus de moi, par-dessus mon épaule, avec un sourire de bienveillance et le visage ouvert ; elle regarde la nouvelle, et pas moi du tout, je me sens un peu mal à l’aise et comprend que c’est conventionnel, alors bêtement je joue le jeu. Elle me convie à entrer dans la nouvelle, à ne voir qu’elle. Il n’y a pas de place possible autre que dans la nouvelle, devant il n’y a pas de place possible, c’est comme une sorte de monde lisse, un monde fictif naïf.

Je me dis que Gavalda elle est entre Kaa le serpent et la madone qui serait la mère de Blanche-Neige tendant la pomme de mort. Images immensément bibliques, même si j’ai plus regardé les Walt Disney que suivi le catéchisme. Ça veut dire qu’il y a la même structure que dans la Bible. Le rapport à la mort. La pomme est mort, les hommes apprennent la mort, deviennent mortels. Mais Gavalda ne nous fait pas prendre conscience de la mort, ce n’est pas un savoir qui va avoir des conséquences sur la vie, et donc sur l’écriture, ce qui est raconté, raconté par une vivante pour des vivants. Non : elle donne la mort, elle l’apporte, et déjà nous la montre. Adam et Eve sont chassés du paradis parce qu’ils sont devenus mortels. Mais la conséquence n’est pas un rejet de Dieu et du paradis, au contraire : il y a la vie éternelle, dont Dieu est le garant ; la mort est une étape, même une loi de cette structure, pas quelque chose contre quoi on va s’opposer ; c’est bien en tant que déjà morts que vivent les vivants sous la protection de Dieu. Gavalda est comme Dieu.

Ce à quoi elle me convie, à quoi je l’imagine me convier, c’est à la mort, à l’acceptation de la mort. Pire encore : à l’acceptation de vivre dans l’acceptation de la mort. Placer quelque chose sous la loi de son contraire, c’est tout de même étrange ; ça l’empêche de se développer, de se construire, d’être d’elle-même, comme en forêt la croissance de certains arbres est déterminée par d’autres qui leur font de l’ombre, ce qui leur donne des formes étranges, avant de mourir, rabougris.

Je termine de lire la nouvelle — j’en ai lu deux en deux semaines, pas réussi à faire mieux — et une angoisse m’étreint. Angoisse de la mort, bien sûr. Mais encore. Pas un savoir, pas une connaissance indispensable pour vivre et vivre bien, et vivre enfin. La présence de la mort, là, toute seule, et toute nue, et moi aussi tout nu, là, face à la mort. Je suis pudique et j’exige que la mort se couvre un minimum, mais encore. Je ne veux pas voir sa sale tête, je demande à ce qu’entre elle et moi beaucoup de choses se placent en médiation, beaucoup de choses qui forment la vie et que l’on appelle communément culture (au-delà des seuls artefacts et symboles…). Gavalda, c’est l’absence totale de culture, c’est l’absence totale de vie, l’acceptation de la mort et l’acceptation de la vie sous la loi de la mort. Gavalda, c’est le retour aux origines de l’écriture, celles prétendues telles par la tradition chrétienne, pour nier radicalement, pour biffer toute la culture par le livre et par l’écriture. La culture selon Gavalda : la plus grande transparence entre soi nu et la mort nue.

Ce qui apparaît comme bien mignon et totalement inoffensif, à la laisser gambader tellement que sa charge subversive est nulle, négative même, vaguement plaisant aussi comme une place possible qu’il serait dangereux de ne pas laisser occupée, incarnée afin de mieux la voir et la contrôler, et l’expurger peut-être par un travail collectif, comme on le dit en politique, nie à la fois la culture, l’écriture et la vie.

Je ne voudrais pas en rajouter, car c’est là déjà prendre une invasion de moustiques pour une invasion de sauterelles, bien qu’à mon avis cette auteure insipide tienne des deux, mais il me semble assez urgent, à l’heure déjà tardive de la mainmise économique sur l’écriture, de comprendre ce qui se joue là, dans ce catéchisme laïc démocratiquement, librement, en droit fondé sur le désir des consommateurs. Dans l’hypothèse où la culture pourrait influencer celui-ci, ce qui est probable vu la place que l’on fait couramment occuper à l’éducation, il est quand même assez pressant de se poser quelques questions, et de se demander quelle culture nous voulons, pour nous-mêmes, ceux que l’on aime, et tous les autres encore.



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